Pertinence des dispositifs de rénovation énergétique du parc bâti – L’exemple de Bordeaux Métropole
Résumé
Dans le contexte actuel de recrudescence d’intérêt pour la question du réchauffement climatique et la prise de position pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la rénovation énergétique du parc bâti fait l’objet d’une récente prise de conscience. Celle-ci s’est matérialisée aux différentes échelles d’action des pouvoirs publics par la mise en place de dispositifs – se voulant incitatifs – d’aide à la rénovation énergétique. Ces dispositifs mobilisent un budget conséquent et il convient donc d’en évaluer la pertinence et l’efficience.
Introduction
La mise en place de la plateforme d’aide à la rénovation énergétique de Bordeaux Métropole a été initiée en 2014 et s’est concrétisée en 2017 sous l’impulsion de l’Etat et de l’Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME) qui souhaitaient accompagner le lancement de PTRE (Plateforme Territoriale de la Rénovation Energétique) locales. Un appel à projet a donc été lancé en 2013 dans le but de créer des plateformes de la rénovation. Bordeaux Métropole a été un des premiers lauréats et initiateurs du mouvement. Ainsi Ma Rénov’ Bordeaux Métropole a vu le jour avec pour but la massification de la rénovation énergétique sur le territoire de la métropole. L’objectif porté par le plan Haute Qualité de Vie (HQV) adopté en 2017 par le conseil métropolitain fixe un objectif de 9000 logements rénovés par an sur le territoire. La PTRE y contribue en attribuant des financements aux ménages qui s’engagent dans des travaux de rénovation énergétique de leur logement. On appellera ces ménages les « rénovateurs ».
Le budget mobilisé par ce dispositif d’aide à la rénovation énergétique est conséquent, de l’ordre de 400 000€/an auxquels il faut ajouter 1,5 Millions d’euros répartis sur trois ans accordés par l’Europe dans la cadre du projet ELENA visant à renforcer les plateformes de la rénovation énergétique. Le volume financier engagé nécessite donc un suivi et une évaluation pour garantir un contrôle des résultats obtenus par le nombre et la qualité des opérations de rénovation énergétique menées.
L’importance de la rénovation énergétique du parc bâti
Le parc bâti représente 45% de la consommation énergétique française ainsi que 27% des émissions de GES (Ministère de la Cohésion des Territoires, Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire, 2018). 75% de cette consommation est due au seul chauffage du logement. Se pose la question de la réduction des besoins énergétiques liés au chauffage pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de GES notamment inscrits dans la Loi de Transition Energétique pour la Croissance Verte (LTECV). La tendance actuelle serait d’isoler les bâtiments de manière efficace pour réduire ainsi les besoins en chauffage. Il est vrai que les bâtiments construits après-guerre jusqu’aux années 1975, date de la première réglementation thermique imposant (plus ou moins) des normes à respecter en termes de thermique du bâtiment, sont aujourd’hui considérés comme des « passoires thermiques » du fait de leur conception inscrite dans une époque de construction massive et d’énergie gratuite ou presque. Aujourd’hui, une recrudescence législative impose aux bâtiments nouvellement construits ou rénovés une performance énergétique inférieure à 80 KWh/m² (ADEME, 2018) et fixe des caractéristiques techniques de construction dans la RT 2012. Ces performances s’atteignent en adoptant une synergie entre différents systèmes d’optimisation du chauffage et de la ventilation d’un logement. Malheureusement, la mise en œuvre de ces directives est coûteuse, ce qui engendre un certain nombre de freins et de dysfonctionnements, dans le neuf comme dans la rénovation que je vais exposer ci-après.
Mon sujet étant axé sur la rénovation énergétique, je ne m’attarderais pas sur la construction de bâtiments neufs, mais il me semble tout de même essentiel de pointer du doigt un dysfonctionnement majeur et visible, affectant tout particulièrement les périphéries. La conception des bâtiments à faible émission de GES nécessite beaucoup d’ingénierie en amont de la construction pour répondre au mieux à la réglementation en vigueur. Ce coût important a pour effet pervers le « clonage » des maisons individuelles notamment. Les promoteurs immobiliers n’ont d’autre choix pour rester compétitifs de répartir les coûts d’ingénierie sur un maximum possible de bâtiments. La RT étant intimement liée à la situation géographique d’implantation, on se retrouve dans la situation de lotissements de 10, 20, 30 maisons identiques côte à côte. Ce phénomène pose donc des questions esthétiques et paysagères non négligeables.
En
ce qui concerne la rénovation énergétique, le problème est identique. Il est
même exacerbé par les caractéristiques intrinsèques au bâtiment existant qu’il
faut nécessairement prendre en compte pour assurer une performance énergétique
après-travaux et éviter de détériorer le bâti de manière catastrophique (cf.
travail du CREBA – Centre de Ressource pour la Réhabilitation du Bâti Ancien).
Le coût du diagnostic et de la recherche de solutions adaptées au bâti (et donc
sur mesure) rendent le coût des travaux très important (on parle souvent de
coûts travaux de l’ordre de 60 000€ pour une rénovation énergétique
performante en maison individuelle). Ces freins à la rénovation énergétique ont
donc été à l’origine de la création de dispositifs d’aide à la rénovation
énergétique sensés inciter les ménages à s’engager dans des opérations de
rénovation de leur logement.
Une multiplicité d’acteurs – une effusion efficace ?
Comme expliqué précédemment, l’ensemble des échelles de la gestion du territoire s’est emparé de la question de la rénovation énergétique pour développer un dispositif d’incitation à l’amélioration des performances énergétiques des logements, sous couvert de la loi relative à la Transition Energétique et la Croissance Verte (LTECV) et aidés par divers subventions et appels à projets. On se retrouve donc aujourd’hui sur un « marché » extrêmement foisonnant porté essentiellement par des dispositifs publics. Le schéma ci-après montre de manière simplifiée les dispositifs d’aide à la rénovation énergétique ainsi que les acteurs qui les portent et leurs interrelations.
On voit ici que les différents dispositifs s’entrecroisent. Ceux-ci s’adressent à différents publics et prennent notamment en compte les revenus des ménages, mais en pratique, de nombreux recouvrements sont effectifs. Cette complexité constitue une nouvelle barrière pour les ménages souhaitant s’investir dans la rénovation de leur logement. Les Conseillers des Espaces Info Energie (EIE) ont pour mission d’accompagner les ménages dans la constitution de leur dossier de demande de subvention ou d’accompagnement (CACCIARI, 2016) . Sur la Métropole Bordelaise, les conseillers EIE appartiennent à 4 structures différentes qui se répartissent sur le territoire comme le présente la carte ci-dessous :
La multiplication des dispositifs rend le suivi et l’évaluation de leur action extrêmement complexe, voire impossible (GHELELOVITCH-SAPANEL, 2019). Cette démultiplication des dispositifs engendre des problèmes d’optimisation de leur fonctionnement par un manque de communication entre les différents porteurs institutionnels, là ou un dispositif unique pourrait gagner en cohérence.
Des complexités techniques individuelles non prises en compte
Se pose maintenant la question de la prise en considération par les différents dispositifs du caractère unique des bâtiments rénovés qui, comme vu précédemment, a une forte incidence sur le type de solution à mobiliser pour la réduction des GES.
D’un côté, les dispositifs portés par le secteur public au travers de EIE tentent de prendre en compte ces facteurs en prodiguant des conseils gratuits aux particuliers pour les aider à orienter et choisir une solution optimale pour leur logement. En revanche, les aides publiques ne prennent pas en compte la complexité et le coût de la mise en œuvre de la solution optimale. De plus, la législation relative aux marchés concurrentiels ne permet pas toujours un déplacement des conseillers chez les particuliers et les limite grandement dans leurs possibilités d’accompagnement car ceux-ci ne sont pas autorisés à prendre un rôle d’assistance à maitrise d’ouvrage.
De l’autre côté, on retrouve les « obligés » du dispositif CEE (Certificats d’Economie d’Energie) qui ont l’obligation de réaliser eux même ou de faire réaliser des économies d’énergie. C’est de ces acteurs que proviennent les offres « isolation à 1€ » et apparentées. Le dispositif des CEE ne prenant pas en compte l’étude préalable des caractéristiques du bâti, l’étape indispensable d’ingénierie est mise de côté pour un nombre maximal d’interventions, permettant aux obligés de valoriser un grand nombre de CEE sur le marché qui leur est dédié. De plus, le démarchage abusif et les campagnes de communication à la limite du harcèlement déteignent sur les dispositifs publics qui se voient associés à tort à ces pratiques.
CONCLUSION
Les dispositifs d’aide à la rénovation énergétique sont l’incarnation d’une volonté politique actuelle qui consiste à contribuer à la réduction des émissions de GES. Malheureusement, la mise en place de ces dispositifs s’est faite sans prévision de suivi de l’efficience des mesures prises, sans organisation de concertation des différents acteurs du secteur, et sans évaluation du gain de performance atteint. Qui plus est, la mise en concurrence du secteur public et du secteur privé et la complexité des dispositifs d’aide ont pour effet de créer des freins là ou l’objectif était de les lever.
Il semble donc qu’une refonte du dispositif soit à prévoir, mobilisant les services techniques compétents pour créer une structure cohérente et adaptative, hors des problématiques de mandat et dans un objectif de résultats mesurables et encourageants.
BIBLIOGRAPHIE
ADEME, 2018. La Réglementation Thermique. novembre 2018. S.l. : ADEME.
ALEC, 2018. L’énergie en Gironde – Panorama en chiffres. 2018. S.l. : ALEC Métropole Bordelaise et Gironde.
CACCIARI, Joseph, 2016. Les Conseillers info énergie : petites mains incertaines des politiques énergétiques françaises. In : Formation emploi. 2016. Vol. 135, n° 3, p. 137‑154. Cairn.info
CERC, 2018. La rénovation énergétique des logements dans le Grand Est – Synthèse annuelle 2017. octobre 2018. S.l. : CERC Grand Est.
GHELELOVITCH-SAPANEL, Nikita, 2019. Les politiques publiques de rénovation énergétique du parc bâti – L’exemple de Bordeaux Métropole. Mémoire. Bordeaux : Université Bordeaux Montaigne.
MINISTÈRE DE LA COHÉSION DES TERRITOIRES et MINISTÈRE DE LA TRANSITION ECOLOGIQUE ET SOLIDAIRE, 2018. Plan de Rénovation Energétique des Bâtiments. 26 avril 2018. S.l. : s.n.