Motilité : un casse-tête du voyageur dans le parcours du dernier kilomètre

  •      Compréhension de la notion du ‘‘dernier kilomètre’’ 

A l’origine, le dernier kilomètre est une expression propre au domaine de la distribution. L’expression s’applique aux réseaux les plus divers notamment réseaux logistiques et de transport (livraison), réseaux câblés ou de télécommunications. Pour ces réseaux, le dernier kilomètre est une expression désignant l’ensemble des agents, opérations et équipements associés et mis en œuvre dans les derniers segments de la chaine de distribution finale de biens ou services. A ce jour, la notion du « dernier kilomètre » n’est pas encore appropriée dans le vocabulaire de la géographie bien qu’elle présente une approche spatiale et temporelle. Dans le contexte de cette étude, la notion du dernier kilomètre désigne un trajet globalement prédéfini par un individu, dont la dernière portion n’est pas desservie par un transport collectif ou un mode quelconque pour assurer son déplacement à partir de la dernière station jusqu’à la destination finale. La figure ci-dessous donne une vue globale sur la compréhension de la notion et sa position dans la chaîne de déplacement.                                           Fig 1: Chaîne de déplacement

En effet, le dernier kilomètre est intimement lié au premier kilomètre : il y a interaction entre les deux pôles de la chaîne de déplacement. A l’opposé du dernier kilomètre, le premier kilomètre est le parcours de la première portion d’un trajet prédéfini par un individu grâce au mode de déplacement de son choix. Le schéma précédent permet de voir et d’identifier aussi le premier kilomètre, tout en le dissociant du dernier kilomètre, portion du trajet généralement problématique dans la chaîne de déplacement. Les enjeux que l’on peut y identifier sont nombreux, mais ce qui nous intéresse dans le cadre de cette réflexion porte sur la motilité (relatifs et potentialités) et donc pas le mouvement dans l’espace. Une approche postmoderniste et bien approfondie devrait permettre d’aborder ses tenants.

  •      Pourquoi doit-on considérer la motilité?

Il ne faut pas confondre la notion de mobilité à celle de motilité. La mobilité est un concept polysémique qui englobe à la fois plusieurs notions à savoir le déplacement, le transport, la migration… Quand on évoque la mobilité, on ne sait pas exactement de quoi on parle (KAUFMANN et JEMELIN, 2004). Mais pour le géographe, elle évoque le franchissement de l’espace. Quant au sociologue, la mobilité se réfère au flux de transports et au changement social (KAUFMANN, 2014, p.41). De fait, son usage révèle des confusions avec d’autres notions et donc la clarification est nécessaire pour comprendre le contexte actuel.  La mobilité est utilisée pour la première fois à l’Ecole de Chicago dans les travaux du géographe SOROKIN (1927) portant sur son ouvrage Social Mobility. Pour lui, la mobilité renvoie au franchissement de l’espace. Pour Sorokin, la mobilité se décline en deux mouvements : la mobilité verticale et la mobilité horizontale. Ce concept est à différencier de celui du déplacement.

D’abord, le déplacement, c’est le mouvement d’un individu ou d’un objet, qui, une fois à destination, ne sera plus présent au lieu d’origine. En géographie, les transports sont les dispositifs, les modes et les moyens permettant l’acheminement de personnes ou d’objets matériels d’un lieu vers un autre avec la coprésence et la télécommunication (LEVY et LUSSAULT, 2003, p.937). D’après ces auteurs, la migration, une forme particulière de mobilité, est le déplacement d’un individu ou d’un groupe d’individus, suffisamment durable pour nécessiter un changement de résidence principale et d’habitat, et impliquant une modification significative de l’existence sociale quotidienne du migrant (LEVY et LUSSAULT, 2003, p.615). Cette forme de mobilité est selon Kaufmann, la mobilité irréversible. A partir de ces définitions, trois éléments sont identifiés à savoir le spatial, le temporel et le motif de déplacement.

La mobilité, qu’elle soit sociale et spatiale, physique, virtuelle ou potentielle, concerne les personnes, les biens et les informations. Selon le Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés (LEVY et LUSSAULT, 2003, p.622), la mobilité est un ensemble de manifestations liées au mouvement des réalités sociales (hommes, objets, matériels et immatériels) dans l’espace. Dans notre société, la mobilité est désormais considérée comme un droit fondamental, une valeur positive, un symbole de liberté, mais semble surtout être une nécessité, un devoir. Il ne s’agit plus d’un concept qui évoque le côté physique, mais il embrasse les idéologies et les technologies du mouvement en cours dans une société. Il est primordial, d’une part de pouvoir et d’être disposé à se déplacer pour le travail, et d’autre part, d’être mobile, dans le sens d’être capable de s’adapter (motilité), de rebondir, de changer afin de répondre aux exigences de la société actuelle.

En effet, quatre acceptations différentes du terme de mobilité sont utilisées en sciences humaines pour décrire des mouvements dans l’espace géographique (KAUFMANN, 2008). D’après Vincent-Geslin et Kaufmann (2012, p.23), le morcellement de la mobilité se présente comme suit :

Tableau : Les quatre formes principales de déplacement dans l’espace

  Temporalité courte Temporalité longue
Interne à un bassin de vie Mobilité quotidienne (réversible) Mobilité résidentielle (irréversible)
Vers l’extérieur d’un bassin de vie  

Voyage

 

Migration

Source : Vincent-Geslin et Kaufmann, 2012, p.23

Avec la diffusion des technologies de l’information et de la communication, la pratique de chacune de ces mobilités change, s’accroît à une vitesse radicale. Les distances et les vitesses croissent, tandis que les temporalités auxquelles elles renvoient se désynchronisent. Les coûts économiques généraux de la mobilité ont tendance à s’alourdir, de même que les coûts temporels et sociaux, du simple fait que la mobilité des individus et des choses augmente (LEVY et LUSSAULT, 2003, p.622).

Aujourd’hui, notre espace est marqué par la relativité, le relationnel et la cospatialité. Lévy et Lussault pensent que les micro-échelles sont particulièrement fondamentales, car c’est à ce niveau que se déploient les pratiques télécommunicationnelles. La mobilité est possible tant que la motilité et l’offre de mobilité existent sur le territoire. Mais qu’est-ce que la motilité ?

La motilité se définit comme « l’ensemble des caractéristiques propres à un acteur qui permettent d’être mobile, c’est-à-dire les capacités physiques, le revenu, les aspirations à la sédentarité ou à la mobilité, les conditions sociales d’accès aux systèmes techniques de transport et de télécommunications existants, les connaissances acquises, comme la formation, le permis de conduire, l’anglais international pour voyager, etc. » (KAUFMANN, 2014, p.61). Elle renvoi à la capacité, l’aptitude à se mouvoir dans l’espace géographique, économique et social. La motilité se décline en plusieurs facteurs dont les potentialités et les relatifs.La motilité est donc la manière dont une personne ou un groupe fait sien le champ des possibles en matière de déplacements et en fait usage, elle relève donc de l’intentionnalité et des projets (VINCENT-GESLIN et KAUFMANN, 2012, p.30). Pour finir, Kaufmann identifie trois figures de mobilité intéressante à ne pas confondre :

  • Se déplacer en étant mobile (voyages d’affaires)
  • Se déplacer beaucoup sans être très mobile (les sans domiciles fixes)
  • Ne pas se déplacer et être mobile (Les grands consommateurs de communication à distance, par internet, e- mails et autres).

Aujourd’hui, tout est norme, même la mobilité. Pour s’intégrer dans la société, il faut avoir la capacité à se connecter, à se déplacer sans obstacle à toutes échelles (par exemple un employé appelé à se déplacer sur l’étendue du territoire national). Si la motilité exprime l’ouverture aux possibilités, ceci sous-entend aussi que certains sont libres dans leur choix, tandis que d’autres sont confrontés à des contraintes au quotidien. S’il n’y a pas de choix à opérer, il n’y a donc pas de liberté. La motilité permet ainsi de relever cette injustice sociale et spatiale (villes-campagnes). Moins ils se déplacent, moins le choix est faisable. Les plus impactés dans cette situation sont notamment les ménages les plus pauvres.

Tous les individus ne disposent pas des mêmes ressources pour manifester le niveau d’envie à se mouvoir. Les profils socioéconomiques varient d’un lieu à un autre et d’une famille à une autre. Comment peut-on alors parler d’accessibilité ou de mobilité pour tous quand ces inégalités s’imposent dans le paysage social ? Si la motilité est subjective, comment peut-on améliorer la mobilité de tous ? Certes, des outils existent, mais il faut d’abord commencer par valoriser l’existant que la majorité ignore. Aujourd’hui, les smartphones s’imposent à tous malgré les contraintes que certains éprouvent dans l’usage et pour d’autres, un refus systématique de se laisser aller dans cette folie contemporaine. Il faut valoriser les applications récentes comme ‘’boogi’’ qui par exemple oriente les usagers vers les stations de transport. Pour ceux qui n’ont pas de permis, cette application propose du covoiturage. D’autres applications existent aussi à l’échelle des territoires.

  •   Valoriser les applications

Des outils existent, il nous revient d’effectuer un travail sérieux en valorisant l’existant. C’est ce qui m’a amené à réaliser un inventaire des applications de Bordeaux Métropole (source Opendata Bordeaux métropole).

  • D’autres outils pour optimiser le système du réseau de transports collectifs

Prise de vue: Raynald Ballo, 2017

Plusieurs outils dont leur mis en application peut améliorer la visibilité et l’accessibilité dans un système multimodal et intermodal sont identifiés. Il s’agit notamment de cinq grands outils qui à travers des expérimentations dans les pays de l’Europe ont participé à améliorer les conditions de vie des populations.

Le premier outil concerne la planification et la maîtrise de l’étalement urbain. La notion d’accessibilité aux différents lieux du territoires doivent etre pris en compte dans l’ensemble des document de planification territoriale, en l’occurrence le SCOT, le PLU, le PDE, le PDUet le PCM. La question de l’accessibilité doit aussi figurer dans les grandes orientations stratégiques nationales.

Le deuxième vise à concevoir un système de transport durable en passant par les outils de modélisation, de simulation et d’optimisation. C’est le cas du modèle agrégé, la constante de temps ou encore le modèle désagrégé. On peut aussi utiliser les outils de concertation et de dialogue social (en passant par les fora, les débats, comité en ligne, internet) en vue d’associer tous les acteurs de transports et les usagers à la prise de décision.

Le troisième outil repose sur le volet financier. L’idée consiste à développer des péages urbains dans les centres villes pour réduire le taux de congestion et de pollution. Mais aussi, il faut mener une politique de taxation d’usage de l’espace public variable en fonction des heures.

Le quatrième outil réside dans la capacité à mettre en œuvre, l’exploitation et la gestion des systèmes de mobilité durable. Cette mise à disposition passe par l’organisation des transports urbains et périurbains et systèmes d’aide à l’exploitation et à l’information voyageur. Il faut aussi organiser à travers des compétences mutualisées entre acteurs une politique de l’usage rationnelle de voiture (covoiturage, autopartage). Il ne s’agit plus d’informer simplement sur le réseau multimodal, mais il faut assurer aux voyageurs l’accès à l’information, aux services, à la tarification, aux nouvelles technologies et centrales de mobilité pour faciliter l’intermodalité. De plus, il faut intégrer au réseau existant plus de modes doux (en traçant les passages pietons et en procédant à l’aménagement des pistes cyclables) et alternatifs aux systèmes de mobilité. Pour finir, il faut améliorer la gestion des mobilités nocturnes.

Le cinquième outil concerne le volet de la gouvernance. L’idée consiste à mettre en place de nouvelles coalitions territoriales pour la mobilité en associant tous les partenaires concernés dont : les différents gestionnaires de réseaux, les entreprises industrielles et de services, les collectivités territoriales et pouvoirs publics, les universités, les laboratoires de recherches et les citoyens intéressés à donner leur quote part pour améliorer la question de la mobilité dans le département.

Le nouveau paradigme se résume à l’idée selon laquelle il nous faut passer de la gestion technique des infrastructures à une intelligence collective des mobilités (RABIN et GWIAZDDZINSKI, 2007, p.228) pour amener chaque usager à s’approprier les modes alternatifs dans un déplament intermodal marqué par une accessibilité au réseau de transport pour finaliser aisément le parcours du dernier kilomètre.

Schéma de Cohérence Territoriale

Plan Local d’Urbanisme

Plan de Déplacement Entreprise

Plan de Déplacement Urbain

Plan Communal de Mobilité

Mobilité motilité et accessibilité à Bruxelles Michel Hubert SD

 

RAYNALD BALLO

 

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