Les apports de la télédétection pour la conservation des habitats naturels

6 janvier 2020 Non Par promos-gtdd

Pierre BOUSCARY

Mots clés : télédétection spatiale – habitats naturels – approche objet – fiabilité – SIG

Cet article rend compte d’une analyse exploratoire relative aux apports de la télédétection pour la conservation des habitats naturels, effectuée dans le cadre d’un stage réalisé au Conservatoire Botanique National Sud-Atlantique. Éminemment géographique, la télédétection spatiale peut contribuer à l’identification et au recensement d’habitats naturels et permet, tant aux experts naturalistes qu’aux politiciens, d’œuvrer pour leur protection. Identifiée comme la méthode appropriée de reconnaissance des habitats naturels, l’approche orientée objet se fonde sur différents aspects de l’espace géographique en vue de produire une modélisation prédictive de la distribution et de l’organisation spatiale des habitats.

Dans un contexte d’érosion de la biodiversité faunistique et floristique, l’Union Européenne a adopté la ‘’Directive Habitat’’ en 1992 (92/43/EEC), directive qui « fixe les règles pour le développement d’un réseau écologique cohérent en Europe, appelé Natura 2000. L’objectif de ce réseau est d’assurer la survie à long terme des espèces les plus précieuses et les plus menacées d’Europe, ainsi que de leurs habitats naturels et semi-naturels » (Corbane et al., 2014). Cette vaste mesure en faveur du maintien du patrimoine naturel vise à recenser, protéger et gérer des sites dits d’intérêt communautaires. En plus des actions de conservation qu’ils doivent mettre en œuvre, les Etats membres sont engagés à effectuer tous les six ans un reportage sur l’état de conservation des Habitats d’Intérêt Communautaire. Le Conservatoire Botanique National Sud-Atlantique (CBNSA), en charge de ce rapportage pour son territoire d’agrément, désire développer ses compétences en cartographie des habitats naturels et souhaite ainsi explorer les apports de la télédétection afin d’évaluer l’état de conservation de ces derniers.

Le présent article propose d’explorer les contributions des sciences de l’information géographique pour le milieu naturaliste. Pour cela, il convient de revenir sur la télédétection spatiale afin d’en définir les contours ; avant de discuter de la détermination d’une méthode de télédétection appropriée à la reconnaissance des habitats naturels ; pour enfin considérer le statut de l’information issue des méthodes de télédétection.

1. La télédétection spatiale : définition et caractérisation de la discipline

La télédétection spatiale désigne l’ensemble des techniques permettant, par l’acquisition d’images, d’obtenir des informations sur la surface terrestre, sans contact direct avec celle-ci (Lenco, 1979). C’est alors un « instrument d’analyse de l’espace, objet même de la géographie. » (Frémont, 1984).

Depuis ses débuts (corrélés avec la prise de conscience politique de l’érosion de la biodiversité) dans les années 1970, la télédétection connait un développement continu (Corbane et al., 2014) marqué notamment par l’augmentation de la résolution spatiale des capteurs embarqués, sur satellites ou avions ; par la diversification de ces mêmes capteurs, dans le rayonnement visible et infrarouges ; et plus récemment par la multiplication des données mises à disposition.

En plus d’informations plus riches, plus détaillées, à des échelles plus grandes et produites à un rythme plus fréquent, l’augmentation de la puissance des ordinateurs contribue à produire de nouvelles méthodes de télédétection ; telle qu’aujourd’hui, la polyvalence des techniques de télédétection conduit à de nombreuses approches potentielles (ibid.). Les images aériennes et satellitaires constituent de véritables objets géographiques et les banques de données d’images intègrent maintenant des caractéristiques inhérentes aux espaces géographiques (orientation, relief, etc.) et fournissent également des mesures spectrales qui étendent la définition du paysage au domaine de l’invisible, permettant ainsi une caractérisation nouvelle des étendues spatiales (humidité des sols, production de biomasse, phénologie, etc.).

La richesse et la disponibilité de ces données offrent d’immenses opportunités et possibilités pour générer « de l’information utile pour la cartographie des habitats naturels et leur statut » (ibid.). Il faut alors souligner le potentiel d’utilisation de la télédétection pour identifier les habitats, obtenir des informations sur leur distribution et surveiller leur état de conservation. Ainsi, disposer d’une méthode efficace est une condition essentielle pour la mise en œuvre de tels objectifs opérationnels.

2. Détermination d’une méthode de télédétection appropriée

Dans l’ensemble, « l’immense polyvalence des techniques de télédétection a conduit à de nombreuses approches potentielles » (Corbane et al., 2014). Les solutions existantes sont principalement axées sur deux méthodes qui font consensus dans la sphère des sciences de l’information géographique (Belgiu, Csillik, 2018) : l’approche orientée pixel et l’approche orientée objet.

La télédétection par approche pixel est un paradigme établi depuis les débuts de la discipline. Elle se concentre sur « l’analyse de pixels uniques » (Blacshke et al., 2014), tandis que l’approche objet, qui tend à renverser ce paradigme (ibid.), s’intéresse aux motifs spatiaux (combinaison de facteurs tels que la forme, le ton, la texture, la taille) que les pixels créent (ibid.). L’approche objet permet donc la segmentation d’une image à haute résolution, en regroupant des pixels contigus en objets cohérents. La segmentation constitue « un groupe de pixels homogènes composés de valeurs spectrales et de relations géographiques similaires. Elle divise une image en secteurs spatialement homogènes et continus. » (ibid.). L’approche orientée objet permet dans un second temps de classer ces secteurs en différentes catégories, au vu de l’expertise de l’opérateur et au regard d’échantillons déjà connus. Les objets issus de la segmentation possèdent de surcroît, comparés aux pixels pris individuellement, des informations additionnelles (forme et surface de l’objet, valeurs d’informations spatiales de différentes natures, informations vectorielles, informations raster) (Blaschke, 2010). L’approche objet permet donc, non plus la discrimination d’un pixel par rapport à un autre selon des critères de réflectance, mais la différentiation d’objets homogènes selon de multiples critères (choisis par l’opérateur). La nature plus géographique des objets permet donc des analyses statistiques de l’espace délimité en secteurs paysagers homogènes, ce qui représente une véritable plus-value par rapport à l’approche pixel dont l’aspect statistique est cantonné à la valeur élémentaire du pixel.

Figure 1 : Processus simplifié de télédétection par approche orientée objet
Réalisation : P.Bouscary, 2019

L’évolution technique des images a donc permis l’émergence de l’approche objet, approche qui facilite la production d’information géographique à partir d’images à haute résolution spatiale (Lei et al., 2017). De plus, une étude récente (Belgiu, Csillik, 2018) octroie une fiabilité plus grande à l’approche objet quant à une intégration des travaux de télédétection dans des programmes opérationnels, tandis qu’une autre étude (Lei et al., 2017), démontre l’avantage d’une approche orientée objet sur la base d’une analyse de 173 publications scientifiques. La méthode orientée objet demeure une approche récente dans la recherche en sciences spatiales et représente une opportunité d’expérimentation à saisir.

Du fait de sa flexibilité (ajout modulable de données annexes au sein de l’objet segmenté) et de son approche spatiale (donc plus proche des sciences géographiques), l’approche objet permet de faire ressortir des milieux homogènes et se place ainsi comme une méthode de télédétection adaptée à l’identification d’habitats naturels.

3. De la télédétection à l’action : le statut de la donnée produite

Les prédictions issues de travaux de télédétection sont toujours à nuancer. La fiabilité absolue ne peut être atteinte sans la complémentarité du terrain en vue de la validation des travaux. Des efforts restent alors toujours à déployer afin de prétendre pouvoir décliner la couche en objectifs opérationnels. Il convient de considérer et d’approfondir le statut que l’on peut accorder à la donnée produite dans une chaine de fabrication de la connaissance pour l’action. Il est en effet indispensable d’étudier le poids des résultats en télédétection afin de tendre vers l’opérationnalité.

Les cartes demeurent des instruments de représentation de l’espace. Pour la télédétection et son utilisation à travers la classification, cette conceptualisation de l’espace prend la forme d’indicateur de présence d’un objet géographique d’intérêt. La question de la validé scientifique de ces présences supposées est alors cruciale. « La nature des polygones est affectée de manière statistique et non par observation directe. La qualité de l’interprétation est donc étroitement dépendante du degré de fiabilité que l’on considère comme acceptable. Ce point est important si la carte doit être utilisée dans des programmes comportant un volet réglementaire » (Olivier, Hendoux, Gaudillat, Deshayes, 2010). Les auteurs interrogent ici un élément immuable à une modélisation par classification : quelle fiabilité accorde-t-on à la donnée produite, au regard de nos objectifs ? Le poids de la donnée dépend en grande partie de la fiabilité qu’on lui reconnait.

« Il y aura toujours des erreurs présentes dans toutes les bases de données, l’essentiel est de savoir qu’elles existent et dans quelle mesure. » (Frith, Gauthier, 1993). Ainsi, l’objectivation de la donnée est essentielle et l’utilisation possible d’une couche dépend en grande partie de sa connaissance. Dans le cadre du stage au CBNSA, au-delà d’établir un état de référence, les résultats de reconnaissance d’habitats naturels ont largement été soumis à discussions à travers le prisme de la fiabilité ; en résultant une future campagne de validation terrain et de forts enjeux de communication autour de ces connaissances. En ce sens, les métadonnées se placent comme le relais de la donnée, comme le garant de sa bonne compréhension et utilisation. Au même titre que sa fiabilité, le poids politique de la couche est intimement lié à son objectivation. « Si un décideur connaît les limites des données, les risques de dommages résultant de mauvaises décisions sont réduits » (ibid.).

La crise de la biodiversité (IPBES, 2019) se traduit en premier lieu par un recul des surfaces et une érosion inéluctable des habitats naturels, faune et flore associées. Il est admis que la conservation, protection et gestion des habitats naturels passent en premier lieu par leur connaissance. La télédétection spatiale, discipline des sciences de l’information géographique, se place comme une méthode d’acquisition des connaissances rapide sur de larges territoires. « Il s’agit d’un moyen relativement peu coûteux d’obtenir une couverture spatiale complète des informations environnementales sur de grands territoires de manière cohérente et avec des possibilités de mises à jour régulières. » (Corbane et al., 2014).

 « La télédétection est devenue un outil essentiel pour évaluer la mise en œuvre des politiques environnementales » (Lopez, Mayer, 2011) et est donc « de plus en plus considérée par les Etats membres de l’UE pour répondre aux obligations de la directive Habitats » (Alleaume, Corbane, Deshayes, 2013).

Or, dans les faits, les utilisations opérationnelles des techniques de télédétection restent très limitées, la faute à une construction collaborative des données environnementales encore trop peu démocratisée entre les experts de la télédétection et les experts de terrain (Alleaume, Corbane, Deshayes, 2013). Les travaux de télédétection spatiale doivent faire l’objet de co-développements ou, à minima, de coopération active pour être efficaces (Ichter, Savio, Poncet, 2012). Il est alors important de mentionner que les techniques de télédétection spatiale nécessitent une quantité importante de recherche multidisciplinaire et une compréhension commune pour atteindre leur plein potentiel et ainsi participer au mieux à la lutte contre l’érosion de la biodiversité.

BIBLIOGRAPHIE

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