LE RETOUR DU PATURAGE DANS LES PRATIQUES DE GESTION DE L’ESPACE

Delorme Marion – 10.12.2020

Le terme d’éco-pâturage renvoi à une nouvelle pratique en pleine expansion qui vise à gérer les espaces verts urbains et péri-urbains, par l’utilisation de troupeaux. L’association Ecoterra, le défini en 2012 comme suit : « Une solution technique alternative à la gestion des parcs, jardins et paysages, essentielle pour éviter la fermeture des milieux et la perte de biodiversité » (Bories O., 2020).

Cette pratique prend actuellement de l’ampleur et de plus en plus de projets se développent. Quelles formes prennent-ils ? Comment se répandent-ils sur le territoire ? Qui s’y intéresse ? Voici les clés pour comprendre le concept et se l’approprier.


Nuances lexicales et diversité de pratiques

Utilisé de manière générale, ce terme recouvre en réalité une diversité assez large de pratiques, allant de l’éco-pâturage à l’écopastoralisme. Alors que le pâturage correspond au fait de faire brouter de l’herbe à un troupeau, le pastoralisme caractérise plutôt une pratique d’élevage où les animaux consomment une végétation spontanée ou semi-naturelle, toujours associée à une mobilité et une saisonnalité pour suivre la ressource. Cette différence induit des utilisations, des techniques, des ressources, un rapport au foncier, voir à l’animal qui varient. D’où l’importance d’être capable de nuancer le terme pour qualifier des situations pouvant être relativement éloignées.

Le premier élément de différenciation est certainement le type de clôture et de contention des animaux. La clôture peut être fixe. Les animaux sont alors dans des parcs fermés et se déplacent de parcs en parcs. Elle peut être mobile et déplacée à mesure que les animaux broutent l’espace (pâturage tournant). Elle peut aussi, tout simplement, ne pas exister. Alors, on se rapproche de l’élevage en transhumance, c’est-à-dire d’un parcours sous la conduite d’un berger (CNRTL, 2020). Le type d’utilisation de la clôture implique une des techniques de surveillance différentes. Allant d’un passage fréquent du berger, à une surveillance permanente du troupeau qui se déplace à la journée. Dans tous les cas, des chiens de conduite sont souvent utilisés afin de se prémunir de potentielles incivilités (Bories O., 2020).

D’autres différences peuvent exister dans la manière de choisir les animaux, dans les modes de sélection et de reproduction, dans le type d’alimentation choisie, l’abri sélectionné… Cette pratique renvoi ainsi fondamentalement au métier d’éleveur.

Or, dans notre monde urbain, qui sont ces éleveurs ? Des prestataires se services d’entretien des espaces verts, qui ajoute l’animal à leur gamme de produits. Des collectivités territoriales qui font le choix de la régie pour la gestion d’espaces publics. Des éleveurs qui s’installent sur des terrains privés mis à disposition, avec rémunération ou non. Des associations à visée sociale, reconquérant les interstices urbains (Bories O., Eychenne C., Chaynes C., 2018). Etc. Autant dire que la pratique parvient à séduire une large catégorie d’acteurs.


Le préfixe « ECO » et la « campagnisation » de l’urbain

Ce préfixe « Eco » renvoi à la fois à la notion d’écologie et d’économie. D’écologie, car l’éco-pâturage est avant tout une pratique de gestion de l’espace et non de production animalière. Or, cette gestion de l’espace a un intérêt écologique puisqu’elle permet le maintien de certains milieux ouverts tout en fertilisant les sols et en remplaçant l’utilisation des produits phytosanitaires. L’augmentation des projets d’éco-pâturage est d’ailleurs très liée à la loi sur le « zéro-phyto » qui fixait pour 2020 l’interdiction définitive de l’usage de ces produits dans l’entretien des espaces verts publics. D’autant plus que ces milieux ouverts ont fortement souffert ces dernières décennies alors qu’ils sont particulièrement favorables au développement des insectes, des pollinisateurs et de la petite faune.

Source : lesinfosdupaysgallo.fr, 2019

La pratique possède également une dimension économique car elle vient remplacer l’utilisation de machines mécaniques telles que les tondeuses et débroussailleuses. Il s’agit donc d’une alternative économique pouvant être avantageuse, notamment sur des espaces difficilement accessibles par ces machines (Le Lay M., et al., 2019). De plus, loin d’être archaïque, l’utilisation des animaux devient aujourd’hui une pratique moderne et requérant une certaine technicité. Chaque espèce présentant un intérêt particulier en fonction des zones à entretenir. Par exemple, les chèvres peuvent servir pour tailler des haies, les buffles pour débroussailler et les moutons pour tondre des prairies.

En ce sens, l’utilisation des troupeaux pour l’entretien des espaces verts urbains, participe à une forme d’hybridation des espaces en atténuant les discontinuités entre la ville et la campagne. Les nouveaux bergers se saisissent des lieux vacants, des délaissés non artificialisés de l’espace urbain, finalement, des vides constitutifs de la ville-nature. Il s’agit d’une nouvelle forme de dialogue réunissant l’urbain et le rural, grâce à un processus gagnant-gagnant où la ville et l’agricole se réinventent ensemble. Ces bergers devenant les référents paysagers de métropoles qui se verdissent, donnent suite à la demande croissante de nature de la part des citadins.

L’éco-pâturage questionne alors le rapport à la campagne, à la nature, à l’animal, au propre et au sale, au sauvage…


La dimension symbolique

            L’intégration des troupeaux en zone urbaine n’est toutefois pas aussi simple qu’elle y paraît, car s’il est vrai que les sociétés urbaines souhaitent voir revenir une part de nature dans leur environnement, sont-elles pour autant prêtes à côtoyer des animaux dans leur espace de vie ?

Une étude sur les représentations et l’acceptabilité sociale d’une démarche d’éco-pâturage dans la première couronne péri-urbaine de la métropole toulousaine (Bories O., Eychenne C., Chaynes C., 2018), à récemment soulevé des craintes quant à certains points :

  • La qualité de vie de ces animaux pâturant dans les délaissés urbains, est-elle réellement optimale ?
  • La population encoure-t-elle un risque ?
  • Cela engendrerait-il des nuisances sonores et olfactives ?
  • L’entretien des espaces verts publics sera-t-il réalisé avec autant de finesse qu’auparavant ?
  • Quel sera l’impact des clôtures sur l’accessibilité de ces lieux rares que sont les espaces verts publics ?
  • Comment peut-on gérer la co-présence entre les troupeaux et les animaux de compagnie ?

Autant de questionnements qui démontrent l’importance de la communication dans la mise en place de ces projets. Il est primordial de mobiliser les représentations positives attachées à la campagne, aux traditions et à certaines valeurs de sobriété. Pensons notamment en fait de renouer avec nos racines rurales, de sauvegarder le patrimoine à travers certaines races rustiques, de retrouver du lien social, intergénérationnel et interculturel, de consommer moins et mieux, d’aider les petits agriculteurs…


Etude de cas à l’échelle nationale

La commune de Cugnaux

Cugnaux fait partie du premier cercle péri-urbain de l’agglomération toulousaine. Elle est en grande partie artificialisée et possède quelques espaces de monoculture intensive, issus d’espaces jadis bien plus importants ainsi qu’une importante zone aéroportuaire. C’est une commune avant tout résidentielle et typique de l’étalement urbain. La population y est croissante et les espaces verts communaux sont résiduels et dispersés.

Le projet d’éco-pâturage qui y a vu le jour est porté par la municipalité. Il vient s’ajouter et compléter la stratégie de gestion classique, en tant que nouvelle forme d’intervention technique. La commune a mis en place un contrat avec l’association Entretien Nature et Territoire pour accompagner l’initiative. Après une étude de faisabilité technique, 4 sites ont été retenus pour une surface totale d’environ 2 ha. La particularité de ce cas se trouve dans l’étude d’acceptabilité sociale proposée par la collectivité. Cette étude se fonde sur une enquête menée auprès des habitants afin de déterminer leurs perceptions de la démarche, leurs résistances, leur adhésion et les motifs liés (Bories O., Eychenne C., 2018).

L’association Bergers Urbains

Source : la-croix.fr, « Bergers dans les rues du « 9-3 », 2016

Cette association de bénévoles portée par Guillaume Leterrier et Julie-Lou Dubreuilh est installée en Ile-de-France. Elle fonctionne sans subventions, par le biais d’une coopérative qui loue les services des bergers. Ces derniers n’ont pas accès au foncier et sont considérés comme des métayers. Ils déplacent leurs troupeaux sous une forme apparentée à de l’écopastoralisme grâce à la multiplication des terrains mis à leur disposition. Ils ont donc à faire avec une multitude de bailleurs.

            Leurs troupeaux se déplacent autour de leur bergerie qui fonctionne comme une polarité rayonnant sur 12 kilomètres. Les déplacements s’effectuent en fonction de la qualité de l’herbe des terrains à gérer. Ils effectuent donc toujours une analyse historique des terrains, en cherchant notamment à savoir les pollutions pouvant être présentent dans le sol.

            Cet exemple permet de faire ressortir les difficultés d’implantations pour ces nouveaux bergers, du fait de réglementations très nombreuses et restrictives ; comme celles relatives aux risques sanitaires pour les populations ou les troupeaux, les autorisations de circulation sur la voirie, les assurances… Il en résulte la nécessité de rassembler les bailleurs autour de la table afin de réfléchir à la ville autrement et collectivement. Ce qu’ils considèrent comme une opportunité d’animer la ville et de rapprocher les producteurs des consommateurs (Leterrier G., Dubreuilh JL., 2020).

La SNCF

Source : lasocietesolidaireetdurable.com, 2015, « La SNCF recrute des moutons pour désherber ses voies »

Les projets d’éco-pâturage se sont multipliés le long des vois ferrées ces dernières années, dans le but d’entretenir la végétation qui s’y développe et de contenir la propagation des espèces exotiques invasives. De 2012 à 2019, une cinquantaine de projets se sont développées avec SNCF Réseau, en particulier sur les terrains difficiles d’accès pour les machines car c’est sur des terrains que le retour sur investissement y est le plus rapide.

Les principales raisons de la mise en place de ces projets, mentionnées par SNCF Réseau, sont les suivantes :

  • Trouver une alternative aux herbicides
  • Maîtriser les coûts d’entretien de la végétation
  • Lutter contre les espèces invasives
  • Profiter d’une opportunité

La majorité des cas se trouvent en zone urbaine, c’est-à-dire dans des communes de plus de 2000 habitants. Les projets sont assez différents les uns des autres, néanmoins il en ressort une tendance à un pâturage de plus en plus extensif et sur du plus long terme afin de limiter efficacement l’apparition de la végétation indésirée. Les projets peuvent être rangés en deux catégories. Les prestations avec un berger urbain, une association ou une entreprise du paysage. Auquel cas, un cahier des charges est établi, ainsi qu’une visite préalable. Et, les conventions d’entretien avec un tiers, signées pour une durée de 5 ans. Ce tiers peut aussi être un éleveur, une association ou une entreprise. Dans ce cas, le foncier est mis à disposition gratuitement auprès du berger, dans le cadre d’une relation gagnant-gagnant. Cette deuxième option étant la plus avantageuse économiquement pour la SNCF, elle est aujourd’hui privilégiée.

Le cas de la SNCF a permis de faire ressortir un certain nombre de chiffres assez intéressants. Par exemple, la végétation des espaces choisis est souvent de type strate basse et comprenant des espèces exotiques invasives. Les ovins sont les animaux les plus utilisés, suivis des caprins puis des ovins et enfin des équidés. La plupart de ces espèces sont représentées à travers des races rustiques. La plupart du temps, les ovins et les caprins sont utilisés simultanément sur un même terrain. Ils restent en moyenne 220 jours par an sur site, autour de la période d’activité végétative. La période d’amortissement de la clôture peut prendre quelques années, ce qui signifie que l’activité ne devient rentable pour l’éleveur qu’après cette période. Les lapses de temps d’amortissement les plus courts sont d’environ 2 ans (Le Lay M., et al., 2019).

La Transhumance du Grand Paris

Le pâturage urbain en parcours se rapproche plutôt du pastoralisme. C’est le berger qui organise le contact avec les populations urbaines et qui rentre son troupeau le soir. En 2019, la capitale française a fortement médiatisé et mis en avant cette pratique avec sa Transhumance, organisée dans le cadre des Rencontres agricoles du Grand Paris. Le projet a été réalisé une fois de plus avec l’association Bergers Urbains. Il s’agit surtout ici d’une stratégie de marketing territorial.

Source : www.metropolegrandparis.fr, consulté le 25.11.2020

Alors que l’éco-pâturage se développe sur l’ensemble du territoire national, nous remarquons qu’il vient répondre à des besoins d’actualité, parmi lesquels la restauration écologique des espaces verts situés en milieu urbain ou non ; la demande de nature des citadins ; l’alternative technique, économiquement avantageuse face à l’interdiction des produits phytosanitaires…  Les enjeux et les besoins étant divergents en fonction des espaces et des territoires, les pratiques se diversifient et se spécialisent.

Voici néanmoins quelques conseils à retenir avant de se lancer dans l’éco-pâturage :

  • Bien choisir son terrain
  • Bien choisir son équipier et les installations nécessaires (clôtures, abri, abreuvoir…)
  • Sélectionner des espèces adaptées
  • Définir l’entretien à réaliser
  • Clarifier les rôles et les responsabilités de chacun
  • Communiquer sur les projets

Bibliographie

BORIES Olivier, 2020, « Troupeaux en ville (moutons, chèvres…) : Définition et typologies », Canal UVED

BORIES Olivier, EYCHENNE Corinne, 2018, « L’éco-pâturage : une nouvelle pratique qui interroge l’espace public », 23e édition du Congrès international 3R, INRA, Institut de l’élevage

BORIES Olivier, EYCHENNE Corinne, CHAYNES Charline, 2018, « Des troupeaux dans la ville, représentation et acceptation sociale d’une démarche d’éco-pâturage dans la première couronne toulousaine (Cugnaux) », Revue ouverte sur le paysage

Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, « Transhumance », consulté le 10.11 .2020

Charrier P., 2016, « Bergers dans les rues du « 9-3 », la-croix.fr, consulté le 03.12.2020

lasocietesolidaireetdurable.com, 2015, « La SNCF recrute des moutons pour désherber ses voies », consulté le 03.12.2020

LE LAY Marine, et al., 2019, « L’éco-pâturage pratiqué par la SNCF Réseau : Retour d’expérience », Sciences Eaux et Territoires, n°27

LETERRIER Guillaume, DUBREUILH Julie-Lou, 2020, « Portraits Bergers Urbains », Canal UVED

Métropole du Grand Paris, 2019, « La transhumance urbaine du Grand Paris », metropolegrandparis.fr, consulté le 03.12.2020