Qu’est-ce que l’art-in-situ et qu’est-ce que c’est son relation avec le territoire ? Pourquoi trouvons-nous des œuvres d’art-in-situ dans des zones rurales, en périphériques? Comment est-ce que l’art peut être une manière de réfléchir sur notre façon d’utiliser, de nous souvenir et de nous identifier avec l’espace naturel autour de nous et les autres dans nos communautés? Ce sont quelques-unes des questions que je voudrais aborder dans cet article, qui proviennent du stage que j’ai commencé l’année dernière dans le cadre du programme de recherche Aesthetic Dominations of Nature: a political ecology of site-specific art in global peripheries (ADONA) dirigé par Dr. Sylvain Guyot, professeur de géographie à l’université de Bordeaux-Montaigne.
La « mis-en-art » de la nature
L’une des idées centrales de cette recherche est la “mis-en-art” de la nature dans les zones rurales, en périphérique. Selon Professeur Guyot, il s’agit d’une “processus spatio-temporel qui confère à l’artiste, à son œuvre et à son éventuel commanditaire un pouvoir d’interaction intentionnelle et de transformation des représentations et dynamiques territoriales en jeu” (Guyot, 1: 2017). Cette transformation se produit à travers «la méditation, la médiation / la re-mediation / la couverture médiatique, en mettant l’accent sur les relations entre les artistes, les auteurs d’oeuvres, le public et les résidents.” (Guyot, 1: 2017). De nombreux chercheurs et philosophes ont théorisé le lien entre art, nature et paysage, soulignant l’importance historique de l’art dans la transformation de nos perceptions de la nature et du paysage (Roger, 1997). Par exemple, il y a le phénomène très cité des paysagistes au XVIIIème siècle, créant l’idée du paysage à travers leurs propres représentations artistiques et influençant ainsi la façon dont les gens perçoivent les espaces qui les entourent (Guyot, 2015).
Le processus « mis-en-art » ajoute une autre dimension géographique et pragmatique à cette ligne de pensée. Si l’art a le pouvoir de crée certaines représentations d’espaces naturels et du paysage, et ainsi changer nos perceptions et nos relations avec les espaces qui nous entourent, nous pouvons nous demander comment, pourquoi, ou et avec qui ses représentations sont crée.
L’art-in-situ
L’art étudié dans ce projet est l’art-in-situ, ce qui signifie qu’il est créé pour un lieu spécifique. En raison de son lien étroit avec le lieu et sa capacité à façonner et à transformer les espaces qui nous entourent, il s’agit d’une forme d’art intéressante à regarder sous un angle géographique et importante pour considérer le processus du «mis en art» de la nature. L’artiste s’inspire de certains éléments de l’espace et les incorpore dans son œuvre. À travers le processus artistique lui-même, il modifie l’espace (Guyot, 2015). En règle générale, la nature de cette œuvre est telle qu’elle n’est pas transportable, car elle prend sens de l’espace environnant. Donc, qu’elle soit permanente ou éphémère, l’œuvre laissera une trace dans la nature soit à travers l’œuvre elle-même, soit mentalement à travers la mémoire de l’œuvre et le processus artistique (Guyot, 2015). Si les œuvres d’art sont installées de manière permanente sur ce site, cela modifiera inévitablement l’espace et les représentations spatiales du site. Cependant, les œuvres d’art éphémères peuvent aussi laisser leur marque, soit par des fragments d’œuvres d’art restantes, l’altération de l’espace autour de l’œuvre ou les interactions et liens humains créés lors de la fabrication de la pièce. Comme décrit une des acteurs interviewée pour ce recherche :
“Pour moi c’est autant le rapport entre une oeuvre et son espace et son environnement que le regard que l’artiste pose sur cette espace qui l’amen a crée cette oeuvre la, c’est comme l’oeuvre s’est crée avec, dans quelle dynamique avec la population. Pour mois c’est l’ensemble de cette démarche qui a du sens. Je ne peux pas déconnecter la dimension artistique au sens de toute d’un coup on a une oeuvre d’art et c’est perçu comme tel. Je ne peux pas le déconnecter de la manière dont elle s’est construit” (Marc Casteignau, 2018).
Nos Relations Territoriales
Il existe de nombreuses manières d’analyser les dynamiques qui sous-tendent l’art, l’espace et les relations territoriales et ce n’est qu’une possibilité et un premier pas vers des questions plus vastes sur la manière dont nous organisons et produisons les espaces qui nous entourent. Que faisons-nous dans ces espaces et qui est inclus dans le processus de production? L’un des fondements théoriques majeurs de cette recherche est «la production de l’espace» et l’idée que nous avons créé le monde qui nous entoure et que, par la production, nous nous sommes également produits (Lefebvre, 1991). L’espace n’est pas un conteneur pour les activités humaines, mais est activement «produit» par l’activité humaine (Harvey, 2011). C’est un processus dialectique et dynamique qui est à la fois un assemblage de faits de groupe, expériences vécues, cultures, formes de sens et nos propres conceptions et imaginations de l’espace (Harvey, 2011). Les espaces produits par les humains, à leur tour, imposent de fortes contraintes aux activités ultérieures (Scott, 2015).
Le terrain et les programmes d’art-in-situ que j’ai recherche pendant la stage ont révélé que l’une des utilisations de l’art dans les zones rurales découlait de la nécessité de réfléchir collectivement, questionner et répondre à des environnements en constante évolution, à notre relation à la nature et à notre place dans le monde naturel comme une espèce parmi d’autres. L’art dans ces espaces est également fortement lié aux souvenirs collectifs et personnels des espaces qui nous entourent. Certaines des questions posées par ces projets incluent: Comment percevons-nous et construisons-nous le paysage? Quels sont les éléments que nous remarquons ou ignorons dans ce paysage? Comment pouvons-nous naviguer dans ces espaces? Comment ces changements peuvent-ils modifier notre propre identité? Comment vivons-nous ensemble dans ces espaces que nous partageons avec d’autres êtres humains et d’autres espèces? Comment pouvons-nous travailler pour comprendre les histoires personnelles et les histoires au sein de ces espaces partagés de manière à créer des communautés plus ouvertes, socialement justes et compatissantes? L’une des utilisations de l’art dans ces projets est de réveiller notre «inconscient géographique» (David Harvey: 1973, 2005) en démontrant que les espaces dans lesquels nous vivons sont des constructions sociales qui ne cessent de se développer et de se modifier, et qui peuvent donc être imaginées de différentes manières pour produire des réalités différentes. L’art peut être un moyen subtil de nous apprendre à ne pas prendre pour acquis notre environnement, et que si nous voulons invoquer un changement dans nos communautés, nous devons méditer profondément sur les espaces que nous créons autour de nous, comment ils sont construits, pourquoi ils sont construits de cette façon, et ce que nous pouvons ignorer.
Bibliographie
Guyot, S. 2017. Research Project 2017-2022: ADONA Aesthetic dominations of nature: a political ecology of site-specific art in global peripheries.
GUYOT, S. 2015. Lignes de front: l’art et la manière de protéger la nature. Habilitation à diriger des recherches, Université de Limoges, 528 p.
Harvey, David. 1973. Social Justice and the City. Baltimore, MD: The Johns Hopkins University Press.
Harvey, David. “The sociological and Geographical Imaginations.” International Journal of Politics, Culture & Society 18 (3/4): 211-255.
Harvey, David. Cosmopolitanism and the Geographies of Freedom. New York: Columbia University Press, 2009. Print.
Lefebvre, Henri. The Production of Space. Oxford, OX, UK: Blackwell, 1991. Print.
Roger, Alain. 1997. Court traité du paysage. Paris: Gallimard, 199 pp.
Scott, Emily Eliza. Critical Landscapes: Art, Space, Politics. Oakland, California : University of California Press, 2015