Intégration complexe des ODD par l’Etat
Les Objectifs du développement durable (ODD) proposent un horizon mondial commun à atteindre d’ici 2030. Décidés à l’échelle internationale, ils sont adoptés par de plus en plus d’acteurs. Dans le cas de la France, les ODD sont en phase d’intégration, que ce soit à l’échelle nationale ou locale. Ce phénomène est freiné par un ensemble de difficultés inhérentes aux ODD, mais aussi au fonctionnement de chaque Etat. Cet article présente certaines de ces difficultés et les leviers à actionner pour y faire face. L’article s’appuie sur une expérience de stage au sein de la Direction Départementale des Territoires et de la mer de Gironde (DDTM33), et prend donc pour terrain d’étude cette structure déconcentrée de l’Etat
Adoptés en 2015 par l’ONU, les Objectifs du Développement Durable, ODD, se présentent comme la direction à prendre pour les politiques d’aujourd’hui. Ils constituent un nouvel outil afin de se rapprocher d’un développement plus résilient, plus durable. Les acteurs du territoire qui s’en emparent relèvent principalement de grandes collectivités (Conseil Régional Nouvelle Aquitaine, Conseil Départemental de Gironde, etc…), mais aussi parfois de structures étatiques telles que les Directions Départementales. J’ai réalisé mon stage dans ce cadre avec pour objectif d’intégrer les ODD à la Direction Départementale Girondine. Mes missions ont donc été de sensibiliser, former, et établir une méthode d’évaluation des services de la direction au regard des ODD. Les DDTM représentent l’État Français à l’échelon départemental, elles assurent un ensemble de services régaliens. Ainsi, incorporer le développement durable et le promouvoir ne va pas de soi. Mon stage m’a donc amenée à questionner le rôle qu’occupe l’État en matière de développement durable et la place laissée aux ODD. S’est alors révélée la problématique suivante : comment les ODD de l’ONU sont intégrés dans une structure déconcentrée de l’État telle que la DDTM33 ?
Afin de répondre à cette question, il est important de comprendre quelles directions les ODD amènent à prendre, puis leur situation dans les politiques publiques françaises, et enfin les conditions d’une intégration réussie pour la DDTM33.
I- Les ODD un cap qui n’est pas neutre
Le passage des OMD (Objectif du Millénaire pour le Développement) aux ODD, c’est le passage d’un raisonnement pour les pays développés à un raisonnement universel, mondial, local, par tous et pour tous. Or, l’universalité des ODD ne va pas de soi, les ODD reposent avant tout sur le principe de développement, et par extension celui de la croissance, que l’on retrouve dans l’ODD 8 « promouvoir une croissance économique ». Or, cette croissance, dite nécessaire, n’est pas partagée par tous, ainsi LATOUCHE Serge, dans son ouvrage En finir, une fois pour toutes, avec le développement, publié en 2001, dénonce le développement comme un « mot piège » paradoxal qui coloniserait l’imaginaire. En parallèle dans les ODD, des dimensions sont absentes, telles que le patrimoine ou la culture, ce qui peut entraîner une difficulté à appliquer un développement territorial local. Pour autant, les ODD peuvent être un outil efficace, ils offrent un langage commun aux acteurs du territoire, accompagné d’un référentiel global d’actions (Rapport Théma, 2018). Les objectifs du développement durable proposent donc une direction pour les politiques publiques, l’horizon qu’ils indiquent n’est pas neutre, mais il n’en est pas moins désirable au regard de la situation d’urgence face au contexte mondial. Pour identifier dans quelle mesure la DDTM33 adoptera cette direction commune, j’ai réalisé des entretiens interactifs où chaque service explicitait pour chaque ODD le cœur de cible de ses actions. Bien que tous les ODD soient concernés par les missions de la Direction, c’est l’ODD 11, « Aménagement d’une ville durable », qui est le plus unanimement porté.
II- Les ODD une intégration en France non fixée
Les ODD sont nés à l’échelle internationale et ont pour vocation de s’étendre sur l’ensemble des territoires. Leur diffusion en France passe par un système d’acteurs complexe, relevant plus des collectivités volontaires que d’une planification et d’une réglementation étatique. Pour réaliser ma mission, il a été nécessaire de comprendre les rapports entre un ensemble d’acteurs reliés à la DDTM33, le schéma suivant en est la synthèse
1. l’UE a intégré l’Agenda 2030 reposant sur les ODD dans les 10 priorités de la Commission Européenne.
2. 17 pays participants au Forum de Haut niveau dont la France.
3. Le Comité Interministériel du développement décide des interventions extérieures de la France pour le DD.
4. La France augmentera de 4 milliards d’euros le financement de l’Agence Française de Développement.
5. Déléguée responsable, en partenariat avec le Ministère des affaires étrangères.
6. La Déléguée Interministérielle du DD (DIDD) anime un réseau HFDD (Hauts Fonctionnaires au Développement Durable) qui relaie dans les ministères les enjeux du DD. Elle réunit régulièrement un comité de pilotage interministériel pour l’ensemble des ODD. Leur priorité est d’établir une Feuille de route des ODD pour l’Agenda 2030 (directions à suivre et étapes pour y arriver).
7. Des ministères « pilotes » et des ministères « associés » ont été identifiés pour chaque objectif, entrainant un travail sectoriel où les ministères chefs de files ont pour mission de mener les travaux, d’organiser la concertation et d’assurer le rapportage sur la mise en œuvre des objectifs.
8. Les ODD sont très présents dans les discours nationaux, mais leur jeune existence et leur absence de règlementations rend difficile l’implication d’acteurs plus locaux. Ces derniers sont ponctuels et reposent sur une volonté forte de participer aux ODD. La Feuille de Route de l’état sur les ODD (FdR) qui doit fixer des lois n’est pas encore finalisée.
9. La DREAL Nouvelle Aquitaine, service de l’état comme la DDTM33, mais au niveau régional, est active dans la démarche ODD.
10. L’intégration des ODD par l’Etat au niveau de la DDTM33 pourrait entrer en synergie avec les collectivités qui les ont déjà intégrés. Ainsi, localement l’Etat n’est pas moteur des ODD.
11. Des externalités positives sur d’autres acteurs du territoire Girondin peuvent être attendues par la prise en compte systématique des ODD dans les projets de la DDTM 33.
III- Les ODD nécessitant un changement de posture de l’Etat
Dans la complexité à intégrer les ODD s’adjoint une posture de l’Etat non adaptée pour porter ce nouvel outil. L’État adopte une stratégie particulière dans ses politiques de développement durable, il valorise sans contraindre, ce sont des politiques dites incitatrices, et les ODD sont inscrits dans cette perspective. Ainsi, les ODD ne sont pas adoptés ni dans les politiques régaliennes correspondant à un « Etat Gendarme », ni dans les politiques interventionnistes correspondant à un « Etat Providence ». Les ODD pourraient alors être rattachés à une troisième fonction, « l’État facilitateur ». Cette posture nécessite un changement au regard des deux autres, « Manuel Valls souligne que dans leur mission, les agents de l’État devront « privilégier une interprétation facilitatrice des normes » » (Banque des territoires, 2016). Autrement dit, ils devront utiliser les marges de manœuvre que leur laissent les lois et règlements, tout en veillant au respect de ceux-ci (ibid.). Or, intervenir en amont est une démarche complexe pour les agents territoriaux de l’Etat. Lors de mon stage, j’ai pu constater une priorité pour les agents de traiter les autorisations de documents d’aménagement, soit le cœur de leur travail régalien. Ainsi, dans un contexte où leur poste est réduit à l’échelle départementale, adopter une posture « facilitatrice » pour le développement durable vient dans un second temps, temps qui est difficile d’accorder pour les agents, freinant ainsi l’adoption des ODD.
Lors d’un entretien réalisé au cours du stage, DELBANCUT Patrice exprime en tant qu’agent de l’État à la DREAL Nouvelle Aquitaine la nécessité pour les agents de l’État de changer de posture : « L’État ne doit plus être régalien et dans le contrôle, il se doit d’intervenir en amont. C’est donc aux agents de faire ce basculement de posture. Ainsi, les ODD ne feront pas l’objet de réglementations et ils n’ont pas vocation à cela, au mieux, il peut y avoir des circulaires, mais cela n’est pas sûr. L’État doit avoir un rôle de facilitateur, d’initiateur ». Les agents sont donc dans une phase de transition à laquelle l’État est déjà inscrit. Cette transition semble plus ou moins rapide en fonction des services et des structures. J’ai alors consacré une partie de ma mission à promouvoir, sensibiliser, former et convaincre les agents et la hiérarchie des avantages offerts par l’intégration des ODD à la structure. Les ODD sont dans une phase d’appropriation volontaire. L’appropriation peut se faire à des intensités variables pour des échelons et des acteurs différents. La place des ODD dans les politiques publiques nationales est un élément clef qui permettrait de légitimer et accélérer l’acclimatation des DDT aux ODD.
En conclusion, pour intégrer les ODD dans une structure déconcentrée comme la DDTM, il semble nécessaire de favoriser un changement de posture de l’État, se détournant d’une simple fonction de contrôle à une fonction de facilitateur. Or, ces préconisations sont pertinentes seulement si les ODD ne sont pas simplement adoptés mais construits à partir du territoire. Les ODD, au même titre que le développement durable, sont pensés à un niveau global sans pour autant être universels. Le territoire permet de retraduire, porter, réinventer les ODD. Ce territoire peut être administratif tel que la Gironde, mais aussi symbolique avec son identité et son regard porté au développement durable. Viser les ODD, c’est faire un pas de plus vers une transition sociétale ; les atteindre, c’est réaliser cette transition.
BIBLIOGRAPHIE
- GALLISSOT René, 1987, Serge Latouche, Faut-il refuser le développement ? Essai sur l’anti-économique du Tiers-Monde, Paris, Presses Universitaires de France, (Coll. « Économie et liberté »), 1986. In: L’Homme et la société, N. 84. Éthique et science sociale. pp. 124-127.
- LA BANQUES DE TERRITOIRES, 2016, « Simplification – Les services de l’Etat, « facilitateurs » de la mise en oeuvre des normes », consulté 05.06.19 Disponible sur : https://www.banquedesterritoires.fr/les-services-de-letat-facilitateurs-de-la-mise-en oeuvre-des-normes
- LATOUCHE Serge, 2001, En finir, une fois pour toutes, avec le développement, le Monde Diplomatique, pp6
- RAPPORT THEMA, 2018, « Territorialisation des ODD », publié sur le site l’Agenda 2030, consulté le 06.06.19. Disponible sur https://www.agenda-2030.fr/ressources/thema-odd-et-territoires-237