Infrastructures routières et milieu naturel : l’évaluation environnementale comme outil de protection de l’environnement efficace ?
Anaïs PREVOST, Décembre 2019
Mots-clés : Infrastructures – aménagement – Milieu naturel – Routes – Biodiversité – Evaluation environnementale
Résumé : Depuis 1970, le système d’évaluation environnementale permet d’étudier et limiter les impacts des projets d’aménagement sur l’environnement et la biodiversité. Les enjeux sont forts notamment pour les projets routiers qui ont des impacts spécifiques sur les milieux naturels qu’ils traversent. Ce système obligatoire n’en est pas pour autant toujours bien mené, et l’on peut s’interroger sur sa réelle efficacité.
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Chaque année, l’artificialisation des sols naturels et agricoles augmente de 68 000 hectares (Ministère de la transition écologique et solidaire, 2017). Il s’agit de la première cause de la dégradation des milieux naturels et plus particulièrement de la biodiversité. L’une des causes de ce problème provient des projets de développement et d’aménagements urbains qui se multiplient, notamment les projets routiers qui sont de plus en plus nombreux en France. Aujourd’hui, le réseau routier français représente à lui seul 1,2% de la surface du territoire français et 38 % des émissions de CO2 proviennent du secteur des transports (Deluzarche C, 2017).
Pour faire face à ce problème, depuis les années 1970, tout projet d’aménagement ou chantier envisagé doit faire l’objet d’une évaluation des enjeux environnementaux à travers divers dossiers réglementaires, c’est-à-dire prendre en compte et étudier les effets potentiels dudit projet sur l’environnement afin de les éviter, les réduire ou les compenser.
En effet, les routes s’opposent par définition au milieu naturel. Pourtant, elles sont indispensables au mode de vie humain et, à défaut de s’en passer, il faut savoir concilier ces espaces et limiter la destruction des milieux naturels et des espèces qui les habitent. Il faut donc prendre des dispositions efficaces pour réduire l’impact négatif de ces projets sur la nature. Cependant, on peut se demander si cette procédure d’évaluation environnementale qui apparaît de prime abord comme un outil de développement durable, constitue une protection suffisante et efficace ?
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Projets d’infrastructures routières et milieu naturel : des interactions inévitables à maîtriser
Le caractère linéaire, l’utilisation spécifique des infrastructures, les entretiens réguliers des voiries et les travaux de constructions, impliquent des effets spécifiques sur le milieu naturel, qui diffèrent de ceux des projets d’aménagement classiques. Les infrastructures routières ont des effets écologiques multiples, parmi lesquels nous pouvons citer la perte d’habitat pour la faune et la flore, la création d’un effet de barrière ou de coupure des continuités écologiques, une forte mortalité animale par collisions, ainsi qu’une pollution des milieux environnants et la perturbation des comportements des individus induites par les nuisances sonores ou lumineuses (Luginbühl Y, 2013).
Le milieu naturel doit donc faire l’objet d’un protocole de suivi et d’évaluation rigoureux et efficace tout au long des projets d’aménagement : depuis la conception, pendant la phase de travaux et de remise en état du site puis après la mise en service de l’aménagement.
Les principaux enjeux, puis les impacts (directs, indirects, induits, temporaires et permanents) sont évalués grâce à une combinaison de méthodes de collecte d’informations (Cf. fig1) : études et relevés de terrains, analyses bibliographiques… Par la suite, des mesures sont proposées pour les éviter, les réduire ou les compenser : ce sont les mesures ERC (Cf. Fig2).
Il faut essayer au maximum de supprimer, éviter les impacts négatifs possibles sur l’environnement et sur le milieu naturel (mesures d’Evitement). Si cela n’est pas possible, il faut tenter de les réduire (mesures de Réduction). Enfin, si les impacts négatifs ne sont pas évitables, le maître d’ouvrage devra justifier cette impossibilité et prendre des mesures de « Compensation » pour compenser les dommages du projet sur le milieu (Conseil général de l’Isère, 2009). Le dossier d’évaluation est ensuite remis à l’Autorité environnementale qui décide ou non d’autoriser la poursuite du projet (Cf. Fig1)
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L’efficacité du système d’évaluation environnementale des projets : un bilan mitigé
Le milieu naturel est donc une partie incontournable de l’étude d’impact et des dossiers réglementaires, très contrôlée par l’Autorité environnementale, en charge de la validation des projets. Ceux-ci sont des outils précieux pour sa prise en compte et sa protection dans le cadre des projets d’aménagement et d’infrastructures routières. Pour autant, est-ce que ce système d’évaluation environnementale fonctionne ? Peu de données sont disponibles sur leur efficacité :rares sont les bilans et rapport publiés.
En 2019, l’Autorité Environnementale a néanmoins publié un rapport sur la piètre qualité des évaluations environnementales des projets en France. Elle déplore une prise en compte insuffisante du milieu naturel, ainsi qu’une mauvaise analyse de la biodiversité ordinaire et du fonctionnement des écosystèmes, souvent omis au profit des espèces rares ou protégées (CGEDD, 26/03/2019).
Cette faible efficience s’explique tout d’abord par les difficultés d’élaboration éprouvées par les bureaux d’études, soumis à des contraintes de délais très courts et parfois aux volontés politiques des commanditaires.De plus, les données environnementales disponibles sont souvent de qualité très disparate dans le temps ou d’un territoire à un autre. Au niveau juridique, les sanctions sont peu dissuasives et les fraudes possibles par manque de suivi et de contrôle : par exemple, aucune vérification sur le terrain n’est effectuée après analyse des dossiers.
Globalement, de ce manque de rigourosité découle une remise en cause de la pertinence du système d’évaluation environnementale par les naturalistes. Ceux-ci lui reprochent l’omission de la dimension sensible de l’environnement ainsi que des impacts sur l’environnement difficilement quantifiables tels que la qualité du paysage ou l’acceptabilité sociale.
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… Mais des améliorations possibles
Du côté de l’Autorité Environnementale, un durcissement de la réglementation est donc attendu avec la mise en place de modalités de contrôle strictes comme une vérification de l’application des mesures ERC sur site. Pour les bureaux d’études, une sensibilisation accrue des maîtres d’ouvrages et clients permettrait d’allonger les délais et d’intégrer des enjeux environnementaux le plus en amont possible et ainsi d’approfondir les études. Au niveau de la méthodologie, la multiplication des acteurs et des sources d’informations permet une pluralité des compétences et dans une moindre mesure de palier au manque de données, bien que celles-ci doivent être actualisées et complétées par la création de nouveaux outils. Un autre grand enjeu de l’amélioration de l’efficacité du système passe par une meilleure définition des mesures ERC en s’appuyant sur les compétences d’experts et des retours d’expériences, et surtout en adaptant les moyens au territoire concerné (Vanpeene-Bruhier S et al., 2013).
Enfin, l’une des premières mesures à prendre pour préserver l’environnement face aux projets routiers ou d’aménagement, est de réfléchir à la pertinence du projet et à ses alternatives. Certes la demande de transports croît et va continuer à croître, mais des matériaux plus performants et une meilleure gestion du trafic peuvent améliorer une situation à problème sans passer par la création de nouvelles infrastructures. De plus, les transports verts, les infrastructures à moindre emprise au sol tels que les téléphériques urbains peuvent constituer des options plus neutres pour l’environnement.
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Pour conclure
Le système d’évaluation environnementale a considérablement amélioré la prise en compte de l’environnement et des enjeux de préservation du milieu naturel dans les projets d’aménagement notamment routiers, en tant qu’outil d’aide à la décision et de développement durable. Il permet notamment d’intégrer les habitants et citoyens aux processus de décisions et complexifie la conception des projets. Cependant, des lacunes persistent dans ce processus complexe qui peut manquer d’objectivité. Globalement, le système d’évaluation environnementale traduit une vision anthropocentrée sur le bien-être humain et l’économie, qui peut être vue par certains comme du « greenwashing », une manière de favoriser l’acceptation du projet en se voilant d’un semblant ou d’une prise en compte de l’environnement minimale. Il faut donc adapter les projets aux spécificités du territoire face à des protocoles standardisés en multipliant les acteurs et les méthodes.
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Bibliographie
Autorité environnementale (CGEDD), Rapport annuel 2018 de l’Autorité environnementale, 26/03/2019. URL : http://www.cgedd.developpementdurable.gouv.fr/IMG/pdf/raae-2018-v5-web_cle1e82fe.pdf
Conseil général de l’Isère, « Concilier route et environnement », Septembre 2009 (Document rédigé par Jean François Noblet, Rémy Garnier, Arnaud Callec et Richard Andreosso). URL : http://www.trameverteetbleue.fr/sites/default/files/brochureconcilier-routes-et-environnement-.pdf
Deluzarche C, Transport et CO2 : quelle part des émissions ? Futura Sciences, Octobre 2017. URL : https://www.futura-sciences.com/planete/questions-reponses/pollutiontransport-co2-part-emissions-1017/
Luginbühl Y, et al., « Infrastructures de transports terrestres, écosystèmes et paysages, des liaisons dangereuses ? », ITTECOP, 2013
Ministère de la Transition écologique et solidaire : « Évaluation environnementale – Guide d’aide à la définition des mesures ERC », Théma, 2017.
Vanpeene-Bruhier S et al., « Prise en compte de la biodiversité dans les projets d’aménagement : comment améliorer la commande des études environnementales ? », Développement durable et territoires [En ligne], Vol. 4, n° 1 | Avril 2013, mis en ligne le 22 avril 2013, consulté le 01 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/developpementdurable/9701