Par Alma Chies
Préambule : de la démocratie directe à l’indirecte
Femme, étudiante, voisine, amie, sœur, fille mais aussi citoyenne de la République française, je m’interroge. La démocratie représentative m’interroge et la légitimité des élites décideuses en place me questionne.
Clarifions d’abord certaines notions. On parle de démocratie directe quand l’ensemble du peuple est impliqué pour prendre les décisions, nommer des responsables, rédiger les lois, etc. Pour bien fonctionner ce type de démocratie doit répondre à plusieurs exigences :
- Un peuple qui soit bon et prenne les bonnes décisions : un peuple éclairé
- Un peuple dont le nombre de citoyens reste administrable : il faut s’imaginer les Athéniens réunis pour voter à main levée. Au-delà d’un certain nombre, le compte des voix est incalculable et ingérable.
- Un peuple informé de tout, et intéressé par tout : il doit prendre part à chaque décision dans tous les domaines, même ceux qui ne font pas partie de leur quotidien.
- Un peuple qui a du temps libre, pour s’occuper des affaires et pour gouverner.[1]
Les peuples en général ne disposant de ces conditions favorables à l’exercice de la démocratie directe, c’est donc la représentation indirecte qui prime, notamment en France.
A l’inverse, la démocratie indirecte s’installe principalement en considération des exigences qui viennent d’être énumérées, souvent trop difficiles à réunir pour garantir le bon fonctionnement d’une démocratie directe. En démocratie indirecte des représentant.es sont élu.es par le peuple pour gérer les affaires, rédiger les lois. Ces représentant.es ont un mandat du peuple, et exercent la démocratie au nom du peuple.
Cette solution de démocratie indirecte se caractérise par le principal défaut de ne pas répondre à l’idéal démocratique pur, souhaité par de nombreux auteurs comme Jean-Jacques Rousseau dans son Contrat social. C’est effectivement un défaut majeur dans le sens où les intérêts d’un groupe réduit ne correspondent jamais parfaitement aux intérêts de la totalité du peuple. À fortiori, comme ce groupe de représentant.es constitue au sens propre une élite, il en découle le risque que les lois, les débats et les équilibres tournent en faveur des représentant.es du peuple et non du peuple lui-même. Les réalités, préoccupations ou intérêts étant relativement divergents selon les classes sociales.
On observe donc des limites à ce fonctionnement démocratique, selon Rousseau, un gouvernement en démocratie fondamentale serait celui où le peuple, en tant que souverain, se constituerait en magistrat collectif pour l’exécuter. Rousseau n’est pas idéaliste, puisqu’il est conscient de la difficulté d’un gouvernement direct, sans représentation ni division des pouvoirs. En effet, ce régime parfait ne peut fonctionner que si les citoyens sont vertueux, dédiés à la cause commune et agissent pour le bien commun, dans le respect de la volonté générale.
La démocratie au prisme de ses limites
Aujourd’hui, plus qu’hier et moins que demain, à l’aube des élections présidentielles, la société française est confrontée à une crise démocratique.
Une étude assez récente du think tank britannique Chatham House (Chatham house. The future of liberal democracies. 15 January 2021.) relève que la crise que traverse la démocratie libérale est si diffuse qu’elle paraît presque insaisissable. On parle de « populisme », de « déconsolidation démocratique », ou encore d’ »évidement démocratique », sans bien parvenir à nommer l’étrange fatigue électorale qui s’est emparée des sociétés occidentales. C’est d’autant plus troublant, que les institutions diffèrent sensiblement d’un pays à l’autre – depuis les « démocraties majoritaires » à la britannique ou à la française, jusqu’aux « démocraties consensuelles » à la suisse. [2]
En 2017, l’abstention lors de la présidentielle s’est élevée à 22,23 % le 23 avril (premier tour) et à 25,44% le 7 mai (second tour) soit plus d’un électeur français sur quatre.[3] Le taux de participation définitif pour le second tour des élections régionales en 2015 était de 58,41%. En 2010, ce taux était de 51,21 %. Concernant le second tour des élections départementales, il s’élevait à 49,98 %. [4]
L’abstention serait particulièrement forte chez les moins de 30 ans : « La première catégorie démobilisée reste les 18-30 ans. Les jeunes ne vont plus voter quand ils ne comprennent pas pourquoi on leur demande de se rendre aux urnes. Les personnes âgées, elles, y vont encore par devoir et n’arrivent pas à entraîner leurs enfants ».[5]
Le refus de voter ou à la perte de confiance dans les institutions s’expliqueraient par plusieurs raisons mais notamment par un sentiment de non-représentation politique. D’autres facteurs également comme l’alternance politique qui ne résout pas des problèmes comme le chômage. La méfiance de la population par rapport aux élites politiques en raison du nombre croissant de scandales divers et d’affaires financières. A cela s’ajoute le fait que les citoyen.ennes ne disposent d’aucun moyen de contrôle envers leurs élu.es en dehors des élections.
« Cette situation interroge notre démocratie électorale. Nous allons avoir des députés élus avec des bases sociales extrêmement réduites. Les personnes âgées seront surreprésentées dans la prochaine Assemblée quand les milieux populaires seront, au contraire, sous-représentés. Les députés élus le seront par la frange la plus installée et la plus éduquée de la population. C’est très problématique au regard de notre idéal démocratique. »[6]
Une démocratie qui rebondit sur ses acquis
Face à l’inertie de l’action politique en faveur des luttes contre le changement climatique ou l’accroissement des inégalités, des initiatives naissent et des citoyen.ennes se constituent en collectif, associations par exemple. Ielles se regroupent pour soutenir une parole locale et porter une vision plus proche de la réalité et des vécus.
Cela peut être mené de manières autonomes et indépendantes comme le renseigne mon article sur la désobéissance civile ainsi que de manière plus individuelle, tel qu’illustrait dans la partie éponyme de mon blog. On observe aussi en collaboration avec les institutions de nouvelles pratiques participatives qui incitent, à plusieurs niveaux, la population à prendre une place au sein des projets ou politiques sociétales.
Mais la culture de la participation en France n’est pas une tradition, avec une démocratie longtemps jacobine et centralisée, par une élite qui étend sa compétence à tous les échelons géographiques, et à tous les domaines de la vie sociale afin de les fondre de façon uniforme.
C’est donc en multipliant les expériences et les espaces de délibération qu’on pourra créer une véritable culture délibérative de l’argumentation et du dialogue. Procéder par étape semble nécessaire pour ne pas risquer d’effrayer les élu.es et d’essouffler la population, car comme on a pu le constater avec la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC), solliciter la participation, ce n’est pas l’adopter.
Le président à l’origine de cette Convention, avait promis de transmettre les propositions de la CCC, sans filtre, au Parlement. Finalement, des mesures ont été rabotées, d’autres ont disparu, et le projet de loi final, s’il comporte des avancées, n’est selon les participant.es, pas à la mesure de leur travail et de l’enjeu climatique (cf les résultats des votes des membres de la convention).
Néanmoins, la démarche a le mérite d’être saluée, ayant contribué à médiatiser largement les débats sur le climat. Beaucoup considèrent la Convention comme « une superbe expérience humaine et démocratique […], une démonstration au grand public […] des vertus de l’intelligence collective. Beaucoup espèrent que ce processus inspirera à nouveau en France et à l’étranger », à l’échelle locale ou nationale.[7]
La participation au prisme des collectivités territoriales
A une échelle plus locale, dans le cadre de mon alternance, nous tâchons de développer la culture citoyenne et le sentiment d’appartenance à l’échelle communale et intercommunale. Pour cela, nous développons une politique via laquelle nous privilégions la circulation et la transparence de l’information auprès de la population mais également auprès des élu.es, pour qu’ielles relaient et s’impliquent dans la démarche. Cette démarche n’étant pas habituelle sur le territoire, nous procédons par étapes. Ainsi après l’information, nous consultons la population à travers un questionnaire diffusé dans les mairies, les lieux de vie, les associations, …
Multiplier les canaux de diffusion du questionnaire nous permet ainsi de toucher une plus large partie de la population. Pour éviter de laisser de côté une frange des habitant.es, nous entamons également des processus d’entretien afin d’aller au plus près de celles.eux qui n’ont pas un usage aisé de l’outil numérique.
Toutefois, plusieurs freins qui pourraient entraver la démarche sont identifiés : la plupart de la population active ou non, n’a pas le loisirs et le temps de se rendre disponible et de s’informer, s’intéresser aux questions qui animent la vie de la cité. Nous n’aurons pas l’opportunité de former les participant.es aux sujets abordés comme cela a été réalisé pour la CCC. Néanmoins, les sujets abordés les concernent (logement, accès aux droits, vie sociale, …) ces personnes seront donc expertes en la matière pour exposer leurs difficultés mais aussi des pistes de résolution.
A l’issue de cette consultation, nous aimerions inciter les enquêté.es à prendre part à une réflexion collective entre élu.es, technicien.ennes et habitant.es. L’ambition derrière cette démarche de consultation puis de participation locale est de répondre concrètement aux préoccupations des habitant.es. Dans ce contexte de création d’un projet social de territoire, associer les citoyen.ennes aux dispositifs et aux décisions qui vont être prises devrait permettre de renforcer leur pertinence et leur appropriation.
Des enquêtes précédentes sur le territoire ont illustré le manque de connaissance des services sur le territoire, des fonctions des élu.es ou du rôle de maire. Il y a donc une volonté de rapprocher la population des instances de décision, pour enrayer cette perte de vitesse de la démocratie représentative. Car pour parler de représentativité, il faut que les personnes se sentent représentées par des élu.es qui leur ressemble, accessibles et connécté.es à la réalité du quotidien. Pour exemple : en 1946, les ouvriers représentés 12,5% des élus à l’assemblée, en 2017 il n’y en a plus aucun. Alors qu’ielles représentent 20,3% de la société. Il s’agit d’un des constats de cette crise de la représentativité, mais toute société peut faire résilience, dans le problème se trouve la solution, remettre au centre de la démocratie et du pouvoir les citoyen.ennes à travers la participation mais également des processus de vigilance et de contrôle de l’action des décideur.euses.
C’est que nous tâchons de faire à l’échelle de la Communauté de communes Latitude Nord Gironde et ce qui m’anime dans le développement du territoire, qui ne peut se faire sans les acteur.trices qui le vivent.
Pour en savoir plus : Lien vers le blog Pouvoir & citoyenneté
[1] Convention citoyenne pour le climat : une expérience démocratique inédite, Vie publique. Publié le 18 mai 2021.
[2] Le Tour du monde des idées par Brice Couturier, France Culture. 28 août 2020.
[3] Sarah Belouezzane, « Présidentielle 2017 : abstention record pour un second tour depuis l’élection de 1969 », Le Monde, 7 mai 2017.
[4] Chiffres du ministère de l’Intérieur
[5] Lilian Alemagna, Interview de Céline Braconnier. Libération.fr, 18 juin 2017.
[6] Ibid.
[7] Du contrat social Principes du droit politique – Rousseau, 1762.