Tiers-lieux, un espoir pour les territoires ruraux

6 janvier 2020 Non Par promos-gtdd

Eloi LESBROS

Figure 1 : « Au cœur de tiers-lieux en milieu rural », source : Commissariat Général à l’Égalité des Territoires, 2019, © Alexa Brunet / La France vue d’ici

En France les tiers-lieux font l’objet d’un engouement croissant. Ils seraient 1800 selon le Commissariat Général à l’Égalité des Territoires. D’un autre côté, les territoires ruraux font face à de multiples crises : diminution et vieillissement de la population, manque de centralité et d’attractivité, déclin économique et effritement du lien social. Les tiers lieux semblent apporter des solutions en répondant au moins partiellement aux questions de la mobilité, du maintien du lien social, ou du dynamisme économique et démographique. Après avoir explicité les difficultés auxquelles font face les territoires ruraux, nous nous intéresserons aux tiers-lieux et aux réponses qu’ils peuvent apporter.

Les territoires ruraux et leurs problématiques

— : moyenne nationale
Figure 2 : pyramide des âges dans les territoires ruraux et de massifs en France : source : CGET, rapport 2017 de l’Observatoire des territoires, février 2018 in CARTO N°49, 2018/09-10, « La France de demain, quels territoires d’ici 2050? »  p.15

De nombreux territoires ruraux ont souffert de la désindustrialisation et de la « réorganisation de l’agriculture ». « En quarante ans, l’industrie a perdu 2,5 millions d’emplois, et l’agriculture 1,5 million. » (Pineau, 2018). Accentuées par la métropolisation, les conséquences directes furent généralement une diminution de la population et le manque d’attractivité économique. Cette dynamique est autoalimentée par la fermeture des commerces et des services. « De fait, les habitants de la plupart des communes rurales doivent se rendre à la ville la plus proche pour accéder aux services de base : administrations, soins médicaux, institutions scolaires notamment à partir du collège, commerces et offre culturelle » (Jacquet, 2018). Par rapport au niveau national, on note une présence moins forte des enfants et un réel manque de jeunes actifs.

Le prix du foncier dans les villes a encouragé les travailleurs et notamment les familles avec enfants à s’installer dans les territoires ruraux « à plusieurs dizaines de kilomètres de leur lieu de travail, au prix de frais de déplacements importants » (Raoul, Casteigts, 2011). Les territoires ruraux, par leur faible densité de population, ne permettent pas la mise en place de transports en commun créant une réelle alternative à l’utilisation de la voiture. On parle de « captivité énergétique » (Doulet 2018) dans le cas de dépenses énergétiques contraintes avec une incidence économique sur les ménages et des effets néfastes sur l’environnement. Les « publics captifs », quant à eux, souvent fragilisés par l’âge, la situation économique ou familiale, la santé ou un handicap, ne peuvent pas ou peu se déplacer. Le télétravail n’y est pas toujours possible du simple fait de la mauvaise couverture du réseau internet parfois qualifiée de « zones blanches » (Jacquet 2018).

Ces dernières années, de nouvelles dynamiques ont fait évoluer ce contexte. « La révolution du numérique passant par là, l’éclatement des lieux de production ainsi que la nature même des biens produits (industries récréatives et culturelles, connaissances…) bousculent les organisations professionnelles, la notion même de salariat » (Pineau 2018). L’arrivée progressive de l’internet à haut débit (programmée initialement à 2022 pour l’ensemble du territoire français) favorise le télétravail et les télé-services. La marge de progression reste très forte en France avec seulement 17% de télétravailleurs en 2015 contre 20 à 35% dans les pays anglo-saxons et scandinaves (Formont, 2016). Dans le cadre d’un « choix global de vie » des néo-ruraux emprunts d’une « culture urbaine » viennent s’installer en milieu rural (Raoul, Casteigts, 2011). Les métropoles, les villes moyennes, et maintenant les territoires ruraux, ont vu apparaître des lieux hybrides mélangeant différentes fonctions que l’on nomme notamment tiers-lieux, tiers espaces ou troisième lieu. Nous utiliserons le terme générique de « tiers-lieux ».

La notion de tiers-lieux est proposée au début des années 1980 par le sociologue Ray Oldenburg. « Pensés comme le volet complémentaire au premier lieu (sphère du foyer) et au second lieu (dédié au travail), les troisièmes lieux s’entendent, dans l’acception d’Oldenburg, comme des espaces propices à l’épanouissement d’une vie collective informelle. » (Servet, 2018). Cette définition primaire a été alimentée par divers auteurs dont le sociologue Antoine Burret, pour qui ce sont aussi des lieux intermédiaires « où l’on se sent comme à la maison et où l’on travaille » (Leducq et al., 2019).

Dans les faits, les tiers lieux prennent des formes infiniment variées. Ils proposent des combinaisons de services mélangeant bibliothèques, agences postales, points info-tourisme, maisons des services publics, maisons de santé, crèches, centres sociaux, écoles de musique, épiceries, maisons des associations, salles de répétition, de spectacle, de cinéma, de sport ou de réunion, télécentres, espaces de travail partagés, ateliers de fabrication, de réparation ou de revalorisation, garages solidaires, campus connectés, pépinières d’entreprises, fablab, hackerspace, services de proximité (conciergerie), cafés, bars, restaurants, tiers-lieux agricoles, conserveries, etc. (Gaultier, 2014 ; Aigron, Manuel, 2018 ; Jacquet, 2018 ; Leducq et al., 2019). Bref ce sont des lieux hybrides.

Ils peuvent être à l’initiative de collectifs, d’associations, d’entrepreneurs ou des pouvoirs publics, chacun de ces acteurs ayant des objectifs différents. Leur nombre est grandissant d’année en année et leur répartition géographique évolue. Les espaces de coworking, se sont d’abord implantés à Paris puis dans les métropoles, suivi par les villes moyennes. Ils apparaissent depuis peu dans les petites villes rurales (Demazière, Leducq, 2018).

Mais en quoi ces tiers lieux répondent aux problématiques actuelles des territoires ruraux ?

Les tiers lieux vont répondre localement à certains besoins de commerce et de services. Les possibilités sont infinies et les tiers lieux, s’adaptant au territoire, vont pallier dans une certaine mesure à l’absence des services. Facilitant leur accès à la population locale, ils vont contribuer à atténuer les inégalités territoriales (Jacquet, 2018). Les tiers-lieux étant par nature hybrides, ils vont avoir la capacité de s’adapter, d’évoluer en fonction des besoins de la population et des individus les composant. Ils pourront ainsi proposer des services innovants : résolution de problèmes administratifs, écrivain public, initiation à la e-administration, permanences délocalisées de coiffeur, d’assistante sociale, du Pôle emploi, points de retrait de colis, de paniers d’AMAP, etc. (Jacquet, 2018).

Les tiers-lieux en tant que lieux de vie permettent de créer et d’entretenir le lien social. En effet, l’approche participative, le « faire ensemble », la mutualisation des moyens et des connaissances permettent de se rencontrer autour d’un prétexte et d’une activité (Jacquet, 2018). Ils permettent aux usagers de se former entre eux. Ces échanges vont permettre des « connexions entre acteurs qui ne se rencontrent pas autrement » (ADEME, 2019). Les tiers-lieux créent ou recréent une centralité dans de petites communes et sont « parfois le seul lieu de rencontre et de lien social de la commune » (Jacquet, 2018). En milieu rural, ils peuvent devenir des centres névralgiques et catalyser les initiatives citoyennes (Aigron, Manuel, 2018).

Figure 3 : Arvieu, un tiers-lieu connecté en zone rurale, source : Echo’ Aveyron, 2017

Ils peuvent aussi contribuer au dynamisme démographique et économique. S’ils bénéficient d’une connexion haut débit et d’espaces dédiés, les tiers-lieux vont permettre l’installation de travailleurs à distance et de travailleurs indépendants, souvent de jeunes actifs formés (Pineau, 2018). Ils vont aussi permettre l’autoformation ou la formation à distance. De ce fait, ils favorisent le maintien et l’arrivée d’habitants sur le territoire. Cette attractivité est souvent renforcée par la proposition d’une offre culturelle. Ces habitants qui vont s’installer ou rester, permettent au territoire de capter des revenus (Pineau, 2018). Augmentant la fréquentation de commerces et services, ils vont contribuer au maintien et au développement d’activités économiques locales (ADEME, 2019). L’équation qui sous-tend le développement territorial classique est inversée. « C’est l’enjeu de ce que l’on nomme aujourd’hui l’économie de proximité » (Pineau, 2018) :

Par le décloisonnement, la mutualisation de matériel et la mise en réseau, les tiers-lieux vont permettre de soutenir les micro-entreprises, les startups ou les projets naissants. Ils contribuent à faciliter les innovations et transformations. Il y a en général, à ce sujet, une forte attente politique (Liefooghe, 2018). Ils vont être des facilitateurs des initiatives par et pour le local. Au niveau immobilier, les tiers-lieux peuvent dans certains cas, redonner « de la valeur d’usage à des sites qui n’en avaient plus (anciens commerces de centre-bourg, anciennes fermes, anciennes usines…) » (Pineau, 2018).

Les limites des tiers-lieux en milieux ruraux

Malgré leurs atouts, les tiers-lieux rencontrent certaines limites. Ainsi, nombre d’entre eux n’ont pas encore trouvé un modèle économique viable à long terme et sont encore très dépendants des aides au lancement et d’un soutien politique (Aigron, Manuel, 2018). Le télétravail n’est accessible qu’à certains travailleurs. Les télétravailleurs, ruraux ou néo-ruraux, sont tout de même obligés de se déplacer et d’avoir accès à des modes de transport rapides — les néo-ruraux « conservant souvent une relation professionnelle plus ou moins forte à leur ancien lieu de résidence » —  (Raoul, Casteigts, 2011). La proposition de services faite par les tiers-lieux  ne couvre généralement pas l’ensemble des besoins. Ils ne peuvent donc qu’atténuer la dépendance à la mobilité. Même si certains tiers-lieux mettent au cœur de leur réflexion les problématiques environnementales, leur « exemplarité […] reste dépendante d’orientations politiques à plus grande échelle. » (Le Lab Ouishare x Chronos, 2019).

Au vu de l’engouement et de l’engagement des pouvoirs publics pour les tiers-lieux, il faut s’attendre à ce qu’ils deviennent, en milieu rural, un élément structurant du paysage et des politiques d’aménagement des années à venir. Mais la création et le développement des tiers-lieux semble nécessiter des dynamiques locales qu’il serait probablement vain de vouloir faire naitre au forceps. Certains prônent une forme « d’artisanat » plutôt qu’un « politique d’équipement » à « déployer sur le territoire national » (Pineau, 2018). Les tiers-lieux sont des outils qui faciliteront une transition sociale, économique et écologique adaptée aux territoires ruraux, mais ne résoudront pas l’ensemble des difficultés qu’ils rencontrent.

Bibliographie

ADEME, 2019, « Quel est l’impact des Tiers-Lieux sur les territoires ? », Mis à jour le 15/04/2019, consulté le 20/11/2019.

Disponible ici : https://presse.ademe.fr/2019/04/etude-quel-est-limpact-des-tiers-lieux-sur-les-territoires.html

Étude téléchargeable en suivant ce lien : https://www.le-lab.org/exploration-mille-lieux

Étude téléchargeable en suivant ce lien : https://www.le-lab.org/exploration-mille-lieux

AIGRON L., MANUEL L., 2018, « La Coopérative Tiers-Lieux : peut-on faire école des tiers-lieux ? », in L’Observatoire, Vol. N° 52, 2018/2, Observatoire des politiques culturelles, p. 65-67.

DOULET J.-F., 2018, « Atlas de l’automobile », Éditions Autrement, p. 50-53, 62-69.

FOURMONT G., 2016, « Télétravail : la forme de l’emploi de demain ? », in CARTO n°33, janvier-février 2016, Aerion/Capri, p. 28.

GAULTIER E., 2014, « Agir ensemble pour des mobilités urbaines durables », Victoires Editions, pp.5, 14-25, 63-83.

JACQUET A., 2018, « Les bibliothèques rurales, un enjeu pour la vitalité des territoires », in L’Observatoire, 2018. Vol. N° 52, 2018/2, Observatoire des politiques culturelles, p. 83-85.

LE LAB OUISHARE X CHRONOS, 2019, « Mille lieux, Objectiver l’impact des tiers-lieux sur les territoires » étude réalisée par Le Lab Ouishare x Chronos.

Disponible sur : https://www.le-lab.org/exploration-mille-lieux

LE PLAN FRANCE TRÈS HAUT DÉBIT, mis à jour le 15/05/2017, consulté le le 27/11/2019.

Disponible à cette adresse : https://www.gouvernement.fr/action/le-plan-france-tres-haut-debit

LEDUCQ D., DEMAZIÈRE C., COQUEL A., 2019, « Diffusion régionale et intégration urbaine des espaces de coworking. Les spécificités d’une région française faiblement métropolisée », in Géographie, économie, société, 2019. Vol. 21, n°3, Lavoisier, p. 145‑169.

LIEFOOGHE C., 2018, « Le tiers-lieu, objet transitionnel pour un monde en transformation », in L’Observatoire, 2018/2 N°52, Observatoire des politiques culturelles, p. 9-11.

PINEAU J.-Y., 2018, « Les tiers-lieux et les cafés associatifs, laboratoires des territoires ruraux », in Nectart, N° 7, 2018/2, Éditions de l’Attribut, p. 100 à 109.

RAOUL E., CASTEIGTS M., 2011, « Rapport sur la mobilité et les transports dans les territoires ruraux », Conseil général de l’environnement et du développement durable, Ministère l’écologie, du développement durable, des transports et du logement et l’Inspection générale de l’administration, Ministère de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration. pp. 11, 12 et 61.

Disponible ici : https://www.interieur.gouv.fr/content/download/32254/241089/file/11-060-01_-_Mobilite_et_transports_dans_les_territoires_ruraux.pdf

SERVET M., 2018, « Les bibliothèques, des troisièmes lieux culturels à forte valeur humaine ajoutée », in L’Observatoire, Vol. N° 52, 2018/2, Observatoire des politiques culturelles, p. 71-74