Le recyclage en Colombie en tant qu’outil d’intégration sociale et de lutte contre la pauvreté

6 janvier 2020 Non Par promos-gtdd

David Camilo OVALLES CORTÉS

La Colombie, située au nord de l’Amérique du Sud, est un pays caractérisé par ses contrastes. D’un côté, des entités telles que le Fonds Monétaire International (FMI) (2019) assurent que « l’économie colombienne se développe » grâce à une croissance de son PIB de 2,7 % en 2018 soutenue par la consommation privée et une reprise de l’investissement étranger ; d’autre part, la même année, « le pourcentage de personnes en situation de pauvreté multidimensionnelle (IPM)1 était de 19,6 % et avait augmenté de 1,8 point de pourcentage par rapport à 2017 » (DANE, 2019a). Ce qui précède est la preuve que, même si l’économie colombienne évolue lentement sur le plan macroéconomique, la Colombie reste un pays qui souffre d’un déficit important en termes de qualité de la vie de ses habitants et de garantie de leurs droits fondamentaux.

Cette situation de pauvreté dans laquelle se trouvent environ 20% de la population colombienne a engendré le fait que de nombreux citoyens ont recours à des pratiques de travail informelles2 pour obtenir des gains économiques leur permettant de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles. En 2019, les « informels » employés dans les 23 plus grandes villes et régions métropolitaines de Colombie représentaient 47 % de l’emploi total- (DANE, 2019b).

C’est dans ce contexte de pauvreté et d’informalité que se développe le travail de la communauté étudiée dans cet article, celle des « recycleurs informels ». Dans cet ordre d’idées je vais présenter, dans un premier temps, une définition du concept de « recycleur informel » et une schématisation théorique de leur organisation. Dans un deuxième temps, je vais exposer brièvement l’histoire de la communauté des recycleurs, en prenant comme exemple l’Association des Recycleurs de Zipaquirá (ARZ), ville située dans le département de Cundinamarca au centre de la Colombie. Finalement, les actions politiques en faveur du recyclage pour favoriser l’inclusion des recycleurs informels, dans le cas de Zipaquirá, seront analysées.

Selon la Surintendance des Services Publics de la Colombie (2018, p.100), un recycleur informel est une « personne physique qui effectue habituellement des activités de récupération, de collecte, de transport ou de classification des déchets solides en vue de leur réincorporation ultérieure dans le cycle économique productif en tant que matière première ; cela tient à la subsistance propre et familière de cette activité ».

En effet, les recycleurs informels parcourent les rues des villes à la recherche de matériaux pouvant être recyclés (carton, plastique, métal, etc.) parmi les déchets ménagers et commerciaux. Une fois que le matériel a été récupéré, le recycleur le classe, le pèse, puis le vend à différentes sociétés privées, qui les transforment et les commercialisent ultérieurement.

Afin de mieux comprendre le modèle de gestion des déchets je citerai le schéma proposé par Mélanie Rateau (2017) :

L’auteur divise le processus vécu par les déchets en trois étapes :1. Production, 2. Collecte et 3. Traitement. À l’intérieur de ces étapes, le jaune montre le processus formel de traitement des déchets (c’est-à-dire celui qui est effectué par la municipalité), dont le but ultime est de stocker ou d’éliminer les déchets dans des décharges contrôlées. Le rouge, en revanche, représente le processus informel de traitement des déchets, où le travail effectué par les recycleurs s’inscrit. L’objectif ultime du processus informel est de transformer et d’exploiter les déchets qui peuvent être recyclés (ce travail est effectué, en principe, par des recycleurs informels et, enfin, par des entreprises de transformation et d’exploitation, représentés par la couleur verte). Cependant, en raison de leur statut illégal, certains déchets, qui peuvent être recyclés, finissent dans les décharges illégales.

Dans ce schéma, il est possible de montrer que les municipalités n’effectuent aucun type de tri et de recyclage des déchets produits dans les villes. C’est pour cette raison que les recycleurs informels, conscients du potentiel économique de ces déchets, créent un marché informel pour l’utilisation et la commercialisation des déchets.

Dans le cas de la ville de Zipaquirá, la communauté des recycleurs a créé l’ARZ en 2014, en tant qu’initiative collective visant à revendiquer leur droit de travailler, à fournir un service de recyclage plus organisé et à sortir de la situation informelle dans laquelle ils ont développé leur travail au cours de l’histoire. Les membres d’ARZ utilisent deux types de véhicules pour transporter les matériaux récupérés :

Véhicule à traction humaine :

Photo 1 : Véhicule à traction humaine pour collecter et transporter les matières recyclables. Cette photo a été prise sur la place centrale de la municipalité de Zipaquirá le 19 juillet 2019 à 18h22. Les recycleurs informels de la ville utilisent ce type de véhicules pour collecter les matériaux trouvés dans les rues de Zipaquirá. Dans le cas de cette photo, on peut voir un drapeau de Zipaquirá dans le véhicule et les matériaux recyclables récupérés au cours de la journée, dans ce cas, le carton, qui sera ensuite pesé et vendu. (© Camilo Ovalles).

Véhicule à traction animale :

Photo 2 : véhicule à traction animale pour collecter, séparer et transporter les matières recyclables. Cette photo a été prise le 15 juillet 2019 à 17h45 dans un quartier résidentiel du centre-ville de Zipaquirá. Les recycleurs de la municipalité parcourent les différentes zones résidentielles à la recherche de matériaux recyclables parmi les poubelles de chaque ménage. Une fois le matériau trouvé, comme on peut le voir sur la photo, le recycleur le sépare (papier, carton, métal, entre autres) et le transporte dans le véhicule conduit par un cheval pour ensuite commercialiser le matériau (© Camilo Ovalles).

Pour comprendre le processus d’association et de formalisation des recycleurs de Zipaquirá, il est nécessaire de citer l’expérience des recycleurs de la ville de Bogotá au début des années 2000, époque à laquelle la mairie a formulé des politiques publiques refusant aux recycleurs informels le droit de travailler. En effet, en 2002, le bureau du maire de Bogotá a lancé un processus « d’appel d’offres pour fournir le service de nettoyage dans lequel il refuse la participation de la population des recycleurs à la gestion publique des déchets » (Tovar 2018, p. 49). Toutefois, compte tenu de cette violation directe de leur droit au travail, « (…) les recycleurs, organisés à la tête de l’Association des Recycleurs de Bogotá, ont développé une stratégie pour combattre et défendre leurs droits » (Medellín, 2018). Selon l’auteur, la stratégie des recycleurs, avec le soutien de différentes organisations, était d’aller devant la Cour Constitutionnelle de Colombie. Grâce à cette stratégie, pour l’année 2011, il y avait déjà sept déclarations de la Cour en faveur de la population des recycleurs3.

Sur la base de cette expérience associative et de combat pour la revendication de droits, ainsi que des décrets de la Cour Constitutionnelle de Colombie, le gouvernement national élabore le décret 596 de 2016. Ce décret est d’une grande importance car, d’une part, il énonce les droits de la communauté des recycleurs informels et, d’autre part, il établit les devoirs de ladite communauté en ce qui concerne la fourniture du service public de recyclage dans les différentes municipalités de Colombie.

Reprenant le cas de Zipaquirá, le bureau du maire a formulé une série d’activités visant à intégrer la population de recycleurs au processus formel de collecte des déchets de la municipalité (dans le but d’améliorer les conditions économiques et de travail des recycleurs informels). Parmi les activités proposées, il convient de soutenir et de former les membres de l’ARZ sur des questions liées à la formulation de projets, de mener des campagnes de sensibilisation du public concernant le travail des recycleurs et la séparation correcte des déchets, de créer des alliances stratégiques avec d’autres entités et acteurs pour promouvoir le recyclage et le travail de l’ARZ, entre autres. Cela permet également à la mairie de créer un système intégré de collecte et de recyclage des déchets générés dans la ville. Les activités en question sont coordonnées par le Conseil du Développement Rural et de l’Environnement de Zipaquirá et s’adressent aux membres de l’ARZ. Elles sont formulées dans le Plan de gestion intégrée des déchets solides de Zipaquirá (PGIRS).

En ce sens, malgré les avancées importantes dans le processus d’intégration et de formalisation de l’activité des recycleurs dans la municipalité de Zipaquirá (comme la constitution de l’ARZ devant la chambre de commerce et la création d’alliances avec des acteurs tels que lycées et résidences pour stimuler le recyclage) la mairie et l’ARZ ont également rencontré un certain nombre de difficultés qui seront exposées ci-dessous.

La principale difficulté est la situation de pauvreté et d’exclusion sociale dont sont victimes les recycleurs informels. En effet, la plupart des personnes appartenant à la communauté des recycleurs de Zipquirá « vivent dans un surpeuplement, en raison du nombre de personnes vivant dans la maison et de la taille réduite des espaces (…) 40 % ne disposent pas de services de santé et de sécurité social, (…) la plupart des recycleurs ne savent que lire (62 %) et 8 % sont analphabètes » (P & P Gestión Integral Compañía Limitada, 2015, p. 142).

De même, il existe des problèmes d’articulation entre les acteurs du programme de recyclage. Par exemple, il n’existe aucun canal de communication clair entre l’ARZ et l’entreprise municipale chargée du transport et de la collecte des déchets non recyclables (L’Entreprise du Réseau de distribution de l’eau, d’Assainissement des eaux et de Récupération des déchets de Zipaquirá – EAAAZ). Il n’y a pas non plus de culture de séparation correcte des déchets à la source par la population de la municipalité. Cela rend difficile le travail des membres de l’ARZ et la perte de matériaux recyclables due à la contamination. En outre, le manque de connaissances et de valorisation de la population vis-à-vis de l’importance du travail des recycleurs est mis en évidence, ces derniers étant victimes d’exclusion sociale en raison de leur situation socio-économique.

En conclusion, Il est d’une importance vitale, pour la création d’un système formel de gestion des déchets, de reconnaître, promouvoir et valoriser le travail effectué par la communauté des recycleurs informels. Cela permettra non seulement de réduire les niveaux de pollution dans les villes grâce au recyclage, mais aussi d’intégrer, valoriser et rendre digne le travail de cette communauté.

Dans le cas de Zipaquirá la mairie a mis au point des programmes qui contribuent efficacement à l’inclusion des recycleurs dans le marché formel, ce qui contribue sans aucun doute à la réduction de la pauvreté des membres de cette communauté. Cependant, il est nécessaire de créer des programmes plus inclusifs qui répondent aux problèmes mentionnés ci-dessus et prennent en compte le recyclage. L’ARZ, en tant qu’outil, permet de réduire la pauvreté, les inégalités, l’exclusion sociale et, en outre, de générer un système optimal de recyclage dans la ville de Zipaquirá.

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1 L’IPM évalue les résultats de satisfaction (ou de privation) d’un individu à l’égard de certaines caractéristiques considérées comme vitales ; Il se compose de cinq dimensions : les conditions d’éducation du foyer, les conditions des enfants et des jeunes, la santé, le travail, l’accès aux services publics à domicile et les conditions de logement (DANE, 2019c).

2 Secteur informel.  Le secteur qui peut se caractériser, d’une façon générale, comme étant constitué d’unités de production qui opèrent typiquement à petite échelle, avec un faible niveau d’organisation, avec peu ou pas de division entre le travail et le capital en tant que facteurs de production et avec l’objectif premier de créer des emplois et d’engendrer des revenus pour les personnes concernées. (UNESCO).

3 Parmi ces arrêts de la Cour Constitutionnelle : la tutelle T-724 de 2003, aux termes de laquelle la Cour demande aux autorités du district de mettre en œuvre des actions positives afin de préparer la population recyclée à participer dans des conditions égales et ; la tutelle T-291 de 2009, aux termes de laquelle la Cour demande aux autorités municipales de mettre au point un processus complet permettant l’inclusion sociale et économique des recycleurs.

Bibliographie

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Département Administratif National de Statistique (DANE), 2019b.  Boletín Técnico Gran Encuesta Integrada de Hogares. [En ligne]. [Consulté le 1 novembre 2019]. Disponible à l’adresse :

Département Administratif National de Statistique (DANE), 2019c. Boletín Técnico Pobreza Multidimensional en Colombia. [En ligne]. [Consulté le 1 novembre 2019]. Disponible à l’adresse :https://www.dane.gov.co/files/investigaciones/condiciones_vida/pobreza/2018/bt_pobreza_multidimensional_18.pdf

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Medellín, Paola, 2018. La lucha de los recicladores en Colombia por reconocimiento y remuneración. Instituto de Estudios Urbanos de la Universidad Nacional de Colombia. [En ligne]. [Consulté le 2 novembre 2019]. Disponible à l’adresse : https://revistas.urosario.edu.co/xml/357/35752420004/index.html

P&P Gestión Integral Compañía Limitada, 2015. Actualización del Plan de Gestión Integral de Residuos Sólidos – PGIRS, del municipio de Zipaquirá, Cundinamarca 2016 – 2027. [En ligne]. [Consulté le 2 novembre 2019]. Disponible à l’adresse : https://zipaquiracundinamarca.micolombiadigital.gov.co/sites/zipaquiracundinamarca/content/files/000086/4296_pgirs-20162027-impresion-final.pdf

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